Article écrit par Nicolas Dupuis, Psychologue Social et Docteur en Sciences Humaines et Humanités, en date du 25/03/2020.

Organiser le télétravail en période de confinement, lors de plans d’urgences sécuritaires et sanitaires, est recommandé mais ne s’improvise pas. En effet, les possibles impacts psychologiques qui accompagnent la mise en place de ces dispositifs peuvent être limités à condition de les avoir identifiés au préalable et de mettre en place des mesures permettant de sensibiliser les personnes concernées. Nous allons évoquer dans cet article, à la lumière de recherches scientifiques, quels sont les risques psychosociaux dans ce contexte particulier et quelles actions peuvent être menées pour mieux les appréhender.

Frank et Gilbert (2007) mettent en avant plusieurs compétences nécessaires à l’encadrement des télétravailleurs. Ils indiquent que l’usage des outils informatiques doit être associé à des règles précises de contrôle et de suivi. Il est également recommandé au salarié de se rendre disponible par téléphone et d’être à l’écoute des membres de son équipe. Le manager doit faire confiance et responsabiliser les travailleurs à distance, ce qui le place comme un soutien moral et technique entre la structure et les travailleurs. Il doit donc adapter son style de management : tenir compte des besoins de chaque collaborateur à distance et formuler clairement les objectifs individuels, tout en favorisant la cohésion et les échanges entre les membres de l’équipe.

Ruiller, Dumas et Chédotel (2017) ont identifié quelques effets psychologiques du télétravail sur l’individu. Ils décrivent l’enjeu du bien-être comme un levier de motivation. Ce bien être est associé à la gestion des frontières entre le milieu professionnel et le milieu personnel pour éviter le sentiment d’intrusion de l’un dans l’autre. Ces intrusions peuvent être vécues comme des violations, permises par les outils de communication. Des leviers d’actions organisationnels sont alors envisageables : s’assurer que les salariés maîtrisent leur temps de travail afin d’éviter un débordement et une surcharge de travail. Aussi, la confiance du manager doit être acquise rapidement pour éviter que le contrôle qu’il effectue auprès des salariés soit mal interprété, mal vécu ou encourage le salarié à allonger ses heures de travail par souci de performance. Les auteurs rappellent qu’en télétravail, les horaires sont fortement influencés par l’organisation personnelle et familiale.

La question de la sécurité des données est également de mise avec les outils de communication et leur utilisation dans le cadre de vie personnel. Le rôle des managers est central pour coconstruire avec l’équipe des objectifs clairs et favoriser l’auto-organisation des salariés.

D’après Vayre (2019), le télétravail peut avoir des effets positifs sur la concentration, la productivité, l’efficacité, la qualité et le contrôle du travail (renforcement de l’autonomie). Il peut aussi être source de motivation, d’implication de satisfaction. Cependant, s’il est réalisé dans des conditions peu appropriées, le télétravail peut avoir des effets négatifs. Liés à de fortes exigences professionnelles, un confort réduit ou à des distractions permanentes, les effets générés peuvent être une insatisfaction vis-à-vis de l’activité professionnelle et une exposition à des risques physiques (troubles musculosquelettiques) et psychologiques (stress, burnout). Un mauvais encadrement des conditions de télétravail (diminution des interactions avec le manager et les collègues, ou encore autogestion défaillante) peut aussi provoquer chez les salariés des ressentis de solitude, d’isolement et d’exclusion professionnelle. Ces ressentis peuvent être renforcés par une pression sociale, de l’incompréhension, de la méfiance et de l’hostilité provenant de l’entourage professionnel, si les performances de travail ne sont plus au rendez-vous. Grosjean et Marsella (2011) précisent que l’isolement au travail et le sentiment de solitude peuvent être à l’origine de risques psychosociaux. Il est parfois complexe d’identifier les risques de passage d’une impression de solitude à un repli de la personne sur elle-même, refusant toute communication. Il faut donc prendre en compte la gestion des émotions, le niveau de connaissances des risques, les éléments objectifs de la situation et leur niveau de compréhension, les représentations et les capacités de résilience des personnes concernées, afin de mettre en place des plans d’action pour prévenir les impacts psychologiques du télétravail en période de confinement et prendre correctement en charge les travailleurs affectés.

Vayre (2019) met en avant des facteurs modérateurs de ces impacts. Le contrôle du travail réalisé par les salariés, adapté par le manager, doit être complété par des échanges avec l’entourage familial sur les conditions de télétravail à son domicile. Ces échanges, avec la famille d’un côté et la direction de l’autre, doivent permettre un aménagement physique du domicile et un appui technique et matériel permettant de travailler dans les meilleures conditions possibles. Le soutien organisationnel doit également être renforcé, en favorisant les interactions sociales et le maintien de relations de qualité et de confiance entre les télétravailleurs et les autres collaborateurs de l’organisation.

Il est nécessaire de s’assurer du partage et de la diffusion des informations et des connaissances, tout en valorisant les compétences des télétravailleurs. Vayre et Delfosse (2019) soutiennent que la prévention des risques psychosociaux et des effets potentiellement délétères liés au télétravail nécessite une véritable politique d’entreprise avec des dispositifs d’accompagnement qui prennent en compte le changement des représentations du télétravail.

Les travaux de Brooks et al. (2020) sur les impacts psychologiques du confinement ont révélé différents symptômes : un possible détachement des autres, une anxiété à s’occuper de personnes fragiles, une certaine irritabilité, une mauvaise humeur, de la colère, de la peur, de la confusion, de la culpabilité, des émotions fortes, de l’anxiété, des insomnies, une faible capacité de concentration et de prise de décision, une détérioration des performances au travail, voire un dégoût pour le travail, ou encore un sentiment de résignation. Sur un plus long terme, le confinement peut entraîner un stress post-traumatique. Une fois la période de confinement terminée, certaines personnes peuvent continuer de respecter les règles strictes de sécurité et d’hygiène et présenter des comportements d’évitement des autres (surtout ceux présentant des signes de maladie), voire même des lieux publics ou de leur lieu de travail.

D’après le collectif de chercheurs, l’ampleur des impacts psychologiques du confinement sont liés à plusieurs éléments : à la durée de celui-ci, au degré de frustration et d’ennui, à la peur de la contamination des personnes et à la qualité des informations transmises par les autorités publiques. Ces effets peuvent également être renforcés par un stress lié au déséquilibre des réserves financières de chacun suite au confinement. Pour limiter les effets délétères, les auteurs recommandent de mettre en place un confinement le plus court possible, d’informer au maximum les populations et de les équiper avec le matériel et les denrées nécessaire, de réduire l’ennui en favorisant la communication, de valoriser l’altruisme, ainsi que d’accorder une attention particulière aux professionnels de la santé. L’information doit être la plus claire et la plus rapide possible pour permettre aux personnes de bien comprendre la situation, les consignes et d’encourager les comportements altruistes.

Pour conclure, les différentes recherches menées sur les impacts psychologiques du télétravail et du confinement montrent que la qualité de l’accompagnement managérial, de l’autonomisation des salariés et des conditions d’exercice à leur domicile sont des facteurs clés à ne pas négliger. De plus, les risques psychosociaux engendrés par une période de confinement peuvent être source des troubles du comportement chez les personnes les plus sensibles ou aux conditions de travail et familiales dégradées. La mise en place d’une communication soutenante renforcée pour relayer des informations claires et fiables est donc primordiale. Un accompagnement psychologique, complémenté d’un avis médical, doit également être envisagé lorsque le télétravailleur exerce dans des conditions peu adaptées et stressantes, ainsi que s’il évoque un sentiment de solitude, d’isolement ou tout autre symptôme compromettant son intégrité psychique (irritabilité, difficultés de concentration ou insomnies, etc.) ou physique (troubles musculosquelettiques).

 

Bibliographie :

Brooks, S. K., Webster, R. K., Smith, L. E., Woodland, L., Wessely, S., Greenberg, N. et Rubin, G. J. (2020). The psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review of the evidence. The Lancet, 395, 912–920.

Frank, E. et Gilbert, P. (2007). Manager le travail à distance : l’expérience du télétravail dans une grande entreprise industrielle. Marché et organisations, 4(2), 167-188.

Marc, J., Grosjean, V. et Marsella, M. (2011). Dynamique cognitive et risques psychosociaux : isolement et sentiment d’isolement au travail. Le travail humain, 74(2), 107-130.

Ruiller, C., Dumas, M. et Chédotel, F. (2017). Comment maintenir le sentiment de proximité à distance ?

Le cas des équipes dispersées par le télétravail. RIMHE : Revue Interdisciplinaire

Management, Homme et Entreprise, 27(3), 3-28.

Vayre, É. (2019). Les incidences du télétravail sur le travailleur dans les domaines professionnel, familial et social.

Le travail humain, 82(1), 1-39.

Vayre, É. et Delfosse, C. (2019). Les enjeux psychosociaux du télétravail : comment accompagner les organisations ?

Le Journal des psychologues, 367(5), 22-26.