Bernard Salengro est médecin du travail et le fondateur, en 2000, de « l’Observatoire du stress » de la CFE-CGC. Il est l’auteur aux éditions L’Harmattan de « Le stress des cadres » et « Le management par la manipulation mentale ». Il explique ici quelles peuvent être les causes de la souffrance au travail et surtout ses conséquences sur notre santé.

Qu’appelle-t-on souffrance au travail et comment la détecte-t-on ?
Par la discussion d’abord. Et, si nécessaire, par des analyses biologiques. Les gens qui expriment une souffrance au travail sont à 70-80 % des gens qui sont dans un état de stress pathologique.

Est-ce un phénomène nouveau ?
Non, ce n’est pas nouveau. Par contre, ce qui est nouveau, c’est la fréquence des situations difficiles que l’on a à affronter et le fait qu’il n’y a pas d’expression physique spécifique possible du stress que cela nous créé. Nous retenons nos réactions, nous devons prendre sur nous, mais ça se paie. Il y a un effet cocotte-minute.

Quelles sont les situations qui favorisent cette souffrance au travail ?
Le harcèlement moral est évidemment une des situations qui provoque du stress. Mais également une charge de travail trop élevée ou alors trop insuffisante. Le salarié peut également être très perturbé lorsqu’il doit tricher sur la qualité des produits qu’il fabrique… Le management moderne favorise toutes ces situations. On ne tient pas compte de l’Homme. Et la révolution des nouvelles technologies qui s’insinuent dans notre processus intellectuel et qui imposent la vitesse – on parle même de windowisation des esprits – favorise ces situations. Et cela a un coût : 3 à 5 % du PIB. Soit 50 milliards d’euros !

Quelles peuvent être les incidences de la souffrance au travail sur notre santé ?
Le stress, c’est un ébranlement de l’organisme. Et cet ébranlement, il peut s’exprimer de 36 façons. Pour certains, ce sera un risque accru de maladies cardio-vasculaires, pour d’autres cela prendra la forme d’une déstabilisation neuro-psychique (pouvant aller jusqu’à la dépression). Pour d’autres encore, cela prendra la forme de problèmes immunologiques ou allergiques. Les sujets stressés ont par exemple une réponse au vaccin contre la grippe qui est très inférieure.

Y a-t-il des entreprises qui innovent en la matière ?
Non pas vraiment. La seule chose qui soit positive, c’est que maintenant on en parle dans les entreprises. On a créé il y a dix ans, à la CFE-CGC, un « Observatoire du stress ». Nous réalisons tous les six mois un baromètre sur le stress. La prise en compte par les entreprises de ce phénomène a doublé.

Pourquoi avez-vous créé cet « Observatoire du stress » ?
Au niveau des médecins du travail, on était un peu effrayé par tout ce que l’on voyait. Je suis allé voir le président de la CFE-CGC en lui disant : « Voilà ce que l’on constate, vous devriez faire quelque chose. » Il m’a alors proposé de créer cet observatoire. À travers le baromètre, nous montrons que la souffrance et le stress au travail ne sont pas des phénomènes isolés, pas des problèmes personnels mais vraiment une « épidémie ».

Est-ce qu’il y a des cas auxquels vous ayez été confrontés qui vous ont marqué ?
Je suis médecin du travail dans le sud de la France. Je me souviens d’un service de cinq personnes dans une grande entreprise. Dans ce service, quatre personnes sur les cinq ont fait une tentative de suicide. Tout était réuni pour en arriver là : un management de mauvaise qualité, une personne qui a voulu jouer au chef alors qu’elle ne l’était pas, un changement de logiciel mal préparé… Quatre personnes sur cinq, c’est gros quand même !

Propos recueilli par Erwan GUÉHO

Publié le mardi 28 septembre 2010 sur nordeclair.fr