Créateur de cette plateforme de psychologues, Jean-Pierre Camard pose ici devant le futur siège de Pros-Consulte, à Larmor-Plage.

Créée en 2009, Pros-Consulte propose ses services face au stress au travail à près d’un million de salariés à travers la France. L’entreprise Larmorienne a également ajouté une corde à sa spécialité, la gestion de crise, comme après l’attentat du musée du Bardo à Tunis.

La vague de suicides à France Télécom à la fin des années 2000 ? « Nous l’aurions décelée, vraiment. Mais appeler un psy à l’époque… Maintenant, cela s’est démocratisé. Nous sommes en première ligne pour savoir où cela ne va pas ». Fondateur de Pros-Consulte en 2009, Jean-Pierre Camard ne s’embarrasse pas de faux-semblant. Pas plus lorsqu’il revient sur les premiers mois de son activité de consultations de psychologues par téléphone. « Il y a eu un écho médiatique important, mais les Français n’étaient pas forcément disposés à payer, car ce n’est pas remboursé par la Sécu ». Fin 2009, les lois Darcos instaurant des mesures législatives sur les risques psychosociaux, notamment l’obligation pour les entreprises de plus de 1.000 salariés de prendre des mesures, lui ouvrent de belles perspectives. Une activité de prise en charge désormais florissante. Dernier exemple en date, la signature d’un contrat avec une structure d’aides à domicile et ses 230.000 salariés. Ce qui porte à près d’un million les personnes susceptibles d’appeler sa quarantaine de psychologues diplômés. Le dirigeant table, pour 2015, sur une recette annuelle de 3 M€, soit une croissance de 60 %.

Trois candidatures par jour

Chaque jour, une centaine d’appels de toute la France et d’Outre-Mer, affluent. Les motifs sont nombreux : conflit avec des collègues, avec la hiérarchie, épuisement, anxiété, incivilités, agressions au guichet, licenciement craint ou à venir… Trois entreprises sont sur ce créneau dans l’Hexagone, mais la boîte Larmorienne est la seule à proposer ce principe de psychologue au bout du fil, 24 heures sur 24. Le marché de l’aide à domicile va l’obliger à recruter. « Sur 100 appels, une trentaine concerne ce secteur. C’est un travail précaire, compliqué. La solitude y est puissance dix, c’est bien de pouvoir les aider », poursuit le responsable, qui n’a aucun souci à se faire pour son recrutement. Il reçoit en moyenne trois candidatures spontanées de psychologues par jour. La croissance de son entreprise est-elle le reflet d’un malaise de plus en plus persistant dans le monde du travail ? Jean-Pierre Camard ne le pense pas. Lui pointe surtout la solitude. « Il y a 50 ans, il y avait une famille, des curés, le médecin de famille… Aujourd’hui, beaucoup sont seuls. Et dans le monde du travail, personne ne vous écoute. Si la situation personnelle est compliquée, il y a besoin d’en parler. Et pas forcément à la famille ou aux amis ». Chaque appel fait l’objet d’un rapport pour les ressources humaines. Rapport non nominatif. « On ne donnera jamais un nom ni un élément de reconnaissance, reprend le responsable. Sauf si l’appelant accepte. Dans le cadre d’un risque suicidaire, on l’incite à sortir de son anonymat. Cela arrive toutes les semaines. Un appel, c’est souvent un appel au secours ».

Le dimanche l’angoisse de la reprise

Les rapports sont-ils suivis d’effets ? Le dirigeant veut le croire. « Cela a été le cas pour des incivilités et des agressions à certains accueils, les DRH ne réalisaient pas toutes les sollicitations et les réprimandes. Il y a vraiment des prises de conscience. Nous savons que pour un signalement de suicide, ou de harcèlement moral ou sexuel, il y a toujours un suivi. Ils ne peuvent pas dire qu’ils n’étaient pas au courant ». Les pics des appels se situent le soir, entre 17 h et minuit, à partir du domicile du salarié. Sans surprise, le dimanche est le plus chargé. L’angoisse de la reprise. Depuis plusieurs semaines, Pros-Consulte a ajouté la gestion de crise dans ses prestations pour répondre aux sollicitations de déplacements. Elle assure aux clients l’arrivée d’un psychologue en moins de 24 heures pour aider à surmonter les angoisses dues à un événement traumatisant. Ce qui a notamment été le cas lors des derniers attentats terroristes au musée du Bardo en Tunisie, en mars dernier, pour le groupe Costa Croisières. « Nous avions déjà travaillé pour le personnel salarié sur le Costa Concordia lors de l’échouage en Méditerranée. Là, le groupe nous a appelés le jeudi après le drame, pour l’envoi d’un psychologue à l’escale suivante à Palma. Notre psychologue a rencontré tous les passagers français. Pour certains, cela a même nécessité des interventions sur leur lieu de travail, des traumatismes anciens avaient été réveillés ».

EN COMPLEMENT

« Les salariés se livrent plus facilement »

Psychologue à Marseille, Gwenaël, 35 ans, exerce sur la plateforme depuis septembre 2009.

Quels sont les avantages d’une plateforme pour un psychologue ?

” Elle offre la possibilité d’intervenir dans la gestion des risques psychosociaux, où il y a énormément à faire, tout en continuant à travailler en cabinet. Et les consultations sont variées. Les salariés appellent pour des problèmes personnels, des situations qui font suite à des suicides, des accidents sur des sites, des plans sociaux, des fermetures, des conflits avec des collègues, des harcèlements, des licenciements, des inéquations de postes par rapport aux tâches, des difficultés de management… J’y consacre au minimum huit heures par semaine, après cela peut-être six à dix heures selon mes disponibilités. “

Une consultation au téléphone, c’est efficace ?

” Au début, je pensais que ce serait limité. Mais c’est riche et intense. La disponibilité par téléphone fait que l’on est directement dans le vif du sujet avec un salarié qui fait par exemple un pic d’angoisse. Plus que sur un rendez-vous classique où il faut attendre plusieurs jours. Le téléphone lève des inhibitions, les gens se livrent plus facilement. En face à face, ils prennent beaucoup plus de précaution. “

Votre activité est très liée à l’actualité sociale ?

” Oui, c’est pour cela que nous avons aussi nos informations sur les entreprises. On ne sait pas de quel numéro provient l’appel, mais on connaît son actualité. On sait s’il y a eu un plan social, une grève, un suicide avec déclenchement d’une cellule de crise. Lorsque la communication est bien faite dans la structure, les salariés nous appellent avant que la situation ne dégénère. Nous arrivons à débloquer énormément de choses, à recréer du lien, à mobiliser les ressources. On raccroche assez souvent avec une belle satisfaction. “

Un exemple :

” Un salarié en plein divorce qui allait perdre son logement pour raisons financières. Nous avons pu, avec son accord, contacter sa direction et l’assistante sociale. Une semaine après, ils lui avaient trouvé un logement et débloqué des aides. Si une situation est préoccupante, avec un risque vital engagé, et que l’appelant accepte de lever l’anonymat, je contacte l’infirmier, le DRH ou la médecine du travail. À nous de faire comprendre que la situation est grave, que les responsables ont tout intérêt à ce que cela se passe bien pour eux. Un salarié heureux est un salarié productif et qui ne crée pas de souci. “

Vous êtes bien placé pour savoir si le stress au travail augmente ?

” Disons que les salariés appellent plus facilement. Ils sont de moins en moins à considérer qu’il faut être fou pour aller voir un psy. C’est pris comme un coup de pouce à un moment donné. “

La plateforme, comment ça marche ?

” Chaque entreprise cliente dispose d’un numéro vert distinct, remis à ses salariés. Le psychologue qui reçoit l’appel, gratuit pour le salarié, sait donc tout de suite dans quel organisme travaille l’appelant. Et si des événements marquants y sont liés (licenciements, suicides…). Les psychologues, qui se connectent quand ils le désirent et sont payés à la prestation, sont visibles en temps réel avec différents statuts : disponible, en consultation, absent… Une fois le psychologue choisi, la mise en relation téléphonique est quasi immédiate, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Les consultations sont anonymes et ne sont ni écoutées, ni enregistrées. Selon les statistiques de Pros-Consulte, 4 % à 10 % des salariés appellent leurs services. Et ils rappellent en moyenne deux fois leur psychologue. “

450 entreprises ou collectivités dans toute la France

L’Agfap (Association de gestion du fonds d’aide au paritarisme) vient de confier à Pros-Consulte l’accompagnement de ses 230.000 adhérents salariés de l’aide à domicile. Un nouveau client de poids qui vient s’ajouter à une liste déjà longue de 450 collectivités ou entreprises représentant près d’un million de salariés. Parmi ces clients, citons l’Assurance-maladie, les Allocations familiales, la Caisse des dépôts, le service du commissariat des armées, le Sdis 34, l’Insee, des CCI, la CPAM du 93, la Mutualité française, la région Basse Normandie, des centres hospitaliers dont celui de Quimperlé… De nombreuses entreprises du secteur privé figurent dans cette liste : Andros, Euromaster, Canon, Atlas, Philips, Sport 2000, Brit Air, Canson, Warner Bros France, Fujifilm, Hygena, Bigard… « Rare sont ceux qui se cachent et ne veulent pas que cela se sache », assure le patron.

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Article publié le Lundi 18 Mai 2015 à 07h41 / Yves Madec

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