harcèlement au travail

Un collègue subit du harcèlement au travail, que faire ?

Pour parler de ce sujet, j’aimerais commencer par une image de la vie de tous les jours. Imaginez que vous montez des escaliers, et qu’une personne qui les descend tombe sous vos yeux. Si vous êtes une personne normalement constituée, vous allez au-devant d’elle et vous allez lui demander comment elle va, est-ce qu’elle a mal, s’il faut appeler les secours. C’est ce que l’on fait presque mécaniquement, sans réfléchir, face à une personne qui souffre. Alors, maintenant la question que je vous pose est la suivante : comment se fait-il que nous avons tant de mal à aller au-devant d’une personne qui souffre de violence ou de harcèlement au travail ? Car dans le cas d’une victime du harcèlement, il s’agit bien d’une souffrance également, qui est psychique et plus grave que dans le cas d’une chute d’escalier si on ne s’en sort pas trop mal…

Pourquoi avons nous du mal à agir face au harcèlement ?

Les raisons de l’inaction face au harcèlement peuvent être liées à la peur d’être également ciblé si on vient aider et nous restons dans l’impuissance à l’instar de la victime. Nous pouvons également être empêché d’agir en raison de nos liens de dépendance à l’entreprise. Ainsi, en dépit de l’évidence, nous laissons le harcèlement se perpétrer en persistant à croire que nous sommes dans un « bon environnement ». Ce faisceau de croyances nous amène à penser que dans une organisation comme la nôtre le harcèlement n’existe pas et la personne qui pourtant est harcelée peut être vue comme un fauteur de troubles. De la sorte, nous percevons seulement ce que nous souhaitons percevoir et la victime se retrouve seule. Ce qui fait souffrir le plus, ce n’est pas le harcèlement en lui-même, mais la solitude dans laquelle se retrouve la victime. Ainsi, le piège fonctionne, elle finit par penser que ces agissements de harcèlement sont légitimes, qu’effectivement elle est nulle, inutile, en trop, etc et elle est prête à envisager le pire.

Se tourner vers des professionnels

Alors, notre but pour enrayer ce processus de la violence est d’en finir avec la culture du silence et de passer à la culture de la parole. Pour cela, il s’agit de ne pas rester seul et de faire appel à un réseau de professionnels, pour trouver l’attitude et les comportements adaptés. Les services d’appels téléphoniques vers des psychologues
tels que Pros Consulte, les Instances Représentatives du Personnel, le service des Ressources Humaines, le Médecin du travail, l’Inspecteur du Travail, le Défenseur des Droits, vous donneront de précieux conseils et faciliteront la protection de votre collègue victime de cette violence.

En tant que collègue vous êtes l’un des tout premiers relais et pour prendre la parole dans le cadre d’une prévention efficace, il s’agit de vous baser sur trois points importants :
– savoir de quoi il s’agit quand on parle de harcèlement,
– savoir être vigilant, quels sont les impacts du harcèlement chez la victime
– savoir quand et comment en parler.

Savoir de quoi il s’agit

Selon la loi, le harcèlement moral au travail consiste en des agissements, des conduites abusives répétées, intentionnelles ou non, qui portent atteinte à la personne. Cela peut être par rapport à ses conditions de travail, sa dignité, sa santé physique ou mentale ou bien son avenir professionnel.

Ces agissements répétés qui portent atteinte à la personne ne sont pas forcément intentionnel, dans le but de nuire à l’autre, il peut y avoir des situations où un auteur de harcèlement a dégradé gravement et sans justifications les conditions de travail de la personne, par sa négligence ou son stress. Donc, ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a bien trois critères obligatoires pour parler de harcèlement : des agissements répétés, une dégradation des conditions de travail et une atteinte à la personne. La jurisprudence nous aide à voir plus clairement ce qui relève du harcèlement. La dégradation des conditions de travail, ça peut être le fait d’imposer dorénavant à quelqu’un des tâches humiliantes, comme le fait d’exiger auprès d’une secrétaire de coller les timbres à 3 millimètres de chaque côté du bord de l’enveloppe, puis de contrôler à la règle chacun des timbres.

Et le troisième critère de l’atteinte à la personne, cela peut être par exemple une dépression liée à la dégradation des conditions de travail. Il faut donc que ces trois critères soient présents ensemble pour que le juge puisse qualifier une situation de harcèlement.

Pour faire la différence entre conflit et harcèlement, dans un conflit la violence peut être réciproque, il y a de l’opposition, cela peut aller loin, on se dispute, alors que dans le harcèlement c’est de la violence également mais il n’y a pas de réciprocité, ça ne va que dans un seul sens, c’est unilatéral, la victime est écrasée, dominée, c’est l’auteur du harcèlement qui a le pouvoir.

Ainsi, le harcèlement touche toutes les personnes, quel que soit leur statut, peu importe l’échelon hiérarchique et les personnes bien intégrées dans l’entreprise. Il ne provient pas uniquement de la hiérarchie, il peut provenir de la part de collègues ou de collaborateurs envers leur manager. Et contrairement à ce que l’on peut croire, l’auteur de harcèlement n’est pas systématiquement un pervers. Cette croyance est fausse, la loi précise d’ailleurs que le harcèlement concerne des agissements qui peuvent être non-intentionnels. En effet, un climat anxiogène, une situation de sur-stress peuvent entraîner des dérapages.

Les actes de harcèlement reconnus par la justice sont l’humiliation, le fait de faire faire des tâches en dessous des qualifications de la personne, faire de la médisance, l’insulter, ou la critiquer de façon disqualifiante en réunion de travail, le fait de retirer une tâche à la personne qui faisait partie de ses attributions…

Leymann, un psychosociologue suédois, qui a été le premier à parler de harcèlementsous le terme mobbying, a énuméré 45 agissements possibles de harcèlement.

Les agissements les plus fréquents que l’on retrouve c’est la mise à l’écart, la rétrogradation, l’empêchement de communiquer avec l’extérieur, coupure de la ligne téléphonique, bureau isolé, par exemple…

Attention à être vigilant à nos biais de perception : il ne s’agit pas de harcèlement par exemple lorsque nous recevons une remarque pour une arrivée en retard ou un refus d’attribution de congés. Dans ces deux cas-là, le manager est bien dans son rôle : il doit prendre des décisions vis-à-vis des congés et peut les refuser si la charge du service l’impose, il doit faire respecter à ses collaborateurs les règles du travail dans l’entreprise.

En revanche ne pas dire bonjour, isoler une personne, inciter les collègues à l’éviter, si le comportement à l’égard de tel collègue est différent par rapport à tel autre, qu’il y a une répétition et que cela porte atteinte à la personne sur le plan de la santé mentale par exemple, il s’agit là bien de harcèlement.

Accroître sa vigilance : quels sont les signes chez la victime

Il s’agit d’avoir du discernement sur les signes à détecter pour savoir à quel moment il faut se préoccuper d’une situation et allumer le clignotant rouge. Il s’agit d’apprendre à reconnaître principalement les signes de souffrance au travail liés au harcèlement, ce sont des signaux qui ne sautent pas aux yeux d’emblée.

Pour détecter des signes chez les victimes de harcèlement, vous pouvez observer du sur-stress, de la fatigue chronique, une prise ou une perte spectaculaire de poids, de la dépression…

Un des signes les plus forts est la phobie de retourner au travail après un arrêt maladie. Car les victimes de harcèlement sont en proie au ressassement, au début on a eu le sentiment de gérer, puis finalement on finit progressivement par ne penser qu’à ça. Il y a comme une trace dans le psychisme de ces humiliations répétées, la personne doute d’elle-même et vit avec le souvenir de la persécution réelle ou supposée en permanence. Cela entraîne du doute de soi-même, est-ce que ça vient vraiment de moi ou de l’autre, c’est la honte d’avoir subi cela et de n’avoir pas su se défendre, puis c’est la perte de confiance. Cela peut aller jusqu’à cet état que l’on appelle le stress post- traumatique, ce qui correspond à un désinvestissement de soi, certains parlent d’un coma psychique, la personne pense tout le temps à l’agression et va développer une phobie par rapport au travail, avec l’impossibilité de retourner sur le lieu de travail, bien souvent.

Savoir comment et quand en parler

Nous pouvons engager le dialogue avec une personne qui a le sentiment de subir de la violence : « j’ai l’impression que tu n’as pas l’air bien, veux-tu que l’on en parle ? ». Avec ce type de parole, alors la situation peut commencer à s’apaiser. Une première écoute a toute son importance en tâchant de comprendre la personne sans la juger,
en l’aidant à reconnaître sa situation. Il peut être important de lui renvoyer un miroir sur ce qu’elle vit, en exprimant vos sentiments d’inquiétude à son égard avec tact, car la personne peut ne pas s’apercevoir de l’étendue de sa situation.

En vous basant sur les trois critères du harcèlement que nous avons vus précédemment, il s’agit de reconnaître avec elle son statut de victime et la nécessité d’agir.

Dans un deuxième temps, il est important de l’amener à s’adresser aux interlocuteurs qui vont l’aider. Le Code du Travail a mis en place un dispositif qui vise à prévenir toute forme de harcèlement au travail, et il fait peser sur l’employeur la responsabilité de la sécurité physique et morale de ses collaborateurs. Il s’agit donc, pour l’employeur, de prendre toutes les mesures nécessaires pour détecter, communiquer, former sur la prévention du harcèlement et de sanctionner en cas d’agissements avérés.

Plusieurs voies d’alerte sont ouvertes, vous pouvez donc, soit orienter votre collègue vers les acteurs de la prévention présents dans l’entreprise, soit l’accompagner dans ses démarches, s’il le souhaite. Les acteurs de la prévention sont multiples au sein de l’entreprise et ont des compétences différentes et complémentaires, l’ensemble des représentants du personnel, les représentants syndicaux, le Médecin du Travail, le service des ressources humaines, l’Assistante Sociale, le Chef d’Entreprise ou le Chef de l’Etablissement. Les acteurs extérieurs pouvant intervenir sont le Défenseur des Droits et l’Inspecteur du Travail.

Par ailleurs, dès que vous signalez une situation à ces acteurs, cela s’accompagne nécessairement d’une garantie de confidentialité, tant envers vous-même, qu’envers les personnes concernées ou mises en cause. En tant que témoin, vous êtes protégé par le code du travail, vous bénéficiez des mêmes droits que la victime et ne pouvez faire l’objet de mesures discriminatoires en matière de rémunération, de promotion, de formation ou de renouvellement de son contrat de travail (article 1153-3 du code du travail).

Article rédigé par Thomas Choisnard, psychologue du réseau Pros-Consulte