Analyse de Gérard Vandermersch, psychologue du travail et intervenant Pros-Consulte.

Dans le 3e baromètre sur le mal-être au travail établi par la plateforme d’écoute Pros-Consulte, il apparaît que les changements de contexte et d’organisation au travail sont devenus une forte cause de souffrance des salariés, et que la part de ceux qui sont concernés par ce mal-être est en augmentation.

Pour beaucoup de Français le travail est une priorité, à tel point que certains sont parfois prêts à tout accepter pour conserver leur emploi. Paradoxalement, les enquêtes s’accordent à montrer que les conditions de travail continuent de se dégrader, sous l’effet des mutations du monde du travail d’une part (complexité des tâches, réduction des temps de repos, individualisation du travail, exigences de la clientèle,…), mais aussi à cause de dysfonctionnements au sein même des entreprises et des administrations (pression hiérarchique excessive, objectifs irréalistes, horaires et rythmes de travail, conflits internes, …). Très souvent considéré comme une conséquence de dérives au sein des entreprises, le mal-être au travail peut aussi être abordé du point de vue de l’individu et de sa capacité à faire face ou à réagir aux situations dans lesquelles il ne se sent pas bien.

Il est courant d’observer que dans des contextes similaires, certains salariés déclenchent stress et/ou mal-être, alors que d’autres vivent les choses sans difficulté particulière. De fait, la capacité d’un individu à s’adapter à un environnement dépend de facteurs personnels (son histoire de vie, son éducation familiale, sociale, culturelle,…) qui façonnent sa personnalité, ses croyances, ses valeurs. Que ce soit dans la sphère personnelle ou dans la sphère professionnelle, quand notre réalité entre en conflit avec nos croyances et nos valeurs, il y a déstabilisation et potentiellement
stress et/ou mal-être. S’impose alors la nécessité d’agir sur les circonstances pour modifier cette réalité et retrouver un certain équilibre. C’est par exemple le cas du salarié en surcharge
de travail, qui va aller voir son responsable pour lui faire part de ce qu’il vit et lui demander de l’aider à définir ses priorités ou l’alléger de certaines tâches. C’est le cas également du père ou de la mère de famille qui souhaite passer davantage de temps avec ses enfants et qui va demander un temps partiel.

Mais ce n’est pas toujours aussi simple de poser les actes qui permettent de sortir de situations difficiles à vivre. En particulier quand nos croyances limitantes s’en mêlent ! Le salarié en surcharge de travail peut ne pas oser aller voir son responsable de peur d’être perçu incompétent ou de perdre son emploi. De même, le père ou la mère de famille peut ne pas oser demander un temps partiel, de peur de voir son évolution professionnelle mise à mal. La personne se retrouve alors comme pris au piège d’une situation dans laquelle elle ne voit aucune issue positive. La résignation, le stress, le mal-être, les frustrations deviennent alors le lot quotidien de celui ou celle qui ne prend pas le risque de chercher à faire évoluer les choses par peur des conséquences ! Ce phénomène est d’autant plus répandu en France que la législation du travail est très protectrice de l’emploi et des employés, ce qui amène les salariés à s’accrocher à leur sécurité de l’emploi ou à leur ancienneté dans l’entreprise, et à faire profil bas par crainte de se retrouver au chômage ou de perdre certains avantages acquis. Ce faisant, ils contribuent d’ailleurs à laisser les pratiques dysfonctionnelles perdurer au sein des entreprises, en quête permanente de productivité et de rentabilité, qui réussissent toujours à trouver des salariés dociles troquant leur santé mentale et leur
estime d’eux-mêmes contre une stabilité rassurante.

En tant que psychologue à l’écoute des salariés en souffrance, notre rôle consiste alors à aider celui ou celle qui consulte à identifier les leviers lui permettant d’agir face à une situation qui ne lui convient pas et dans le même temps à repérer les croyances limitantes qui le freinent ou l’empêchent d’agir, le maintenant dans une forme d’impuissance psychologiquement néfaste.

Bien sûr, chaque cas est particulier et certains ont davantage de marge de manœuvre et de ressources que d’autres, pour agir et tenter de faire évoluer les situations compliquées dans lesquelles ils se retrouvent. Encore faut-il accepter de transformer certains de ses fonctionnements habituels, de ses croyances voir même certaines de ses valeurs, devenues obsolètes et inadaptées aux circonstances.

La qualité de vie au travail est certainement autant l’affaire des entreprises et administrations, que des salariés eux-mêmes, en tant qu’individus responsables de leur destinée. Il ne s’agit pas de dédouaner l’entreprise de s’interroger sur son organisation du travail et ses pratiques managériales. Cette démarche deviendra d’autant plus nécessaire que les salariés eux-mêmes, individuellement, en fonction de leurs possibilités, oseront remettre en cause leur faux confort d’employés résignés, pour respecter davantage leurs vrais besoins d’êtres humains, poussant ainsi les entreprises dans des démarches actives de prévention des RPS sous peine de voir leur fonctionnement impacté négativement (absentéisme, turnover, conflits, démotivation, …).

La mise en place d’une plateforme d’écoute téléphonique au sein de l’entreprise est une manière de répondre à ces 2 objectifs, d’une part en offrant aux salariés en souffrance un espace de parole libérateur (confidentiel et gratuit), rendant possible la prise de recul et l’émergence de solutions nouvelles, et d’autre part, en permettant aux entreprises en retour d’obtenir un aperçu général du climat social interne et d’identifier certains facteurs de risques psychosociaux, leur offrant, le cas échéant, la possibilité de prendre des mesures correctives adaptées.