Les conduites addictives (avec ou sans toxiques) restent aujourd’hui un sujet complexe et tabou pour les entreprises françaises qui n’osent pas suffisamment les aborder de front, au même titre que les risques psychosociaux. L’enjeu est pourtant de taille en considérant que ces conduites ont des répercussions comportementales importantes (trouble du jugement, perte d’attention, agressivité, etc.) et sont à l’origine de 20% à 30% des accidents du travail.

Voilà un sujet d’actualité épidermique que celui du burn-out et des addictions pour les entreprises et décideurs, tant sur le tabou qu’il revêt que sur la tournure et les enjeux actuels depuis l’appel d’une trentaine de députés de la majorité en décembre dernier, une semaine après une requête similaire des médecins du travail, pour faire reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle par la Sécurité Sociale. Cette démarche aurait pour répercussion de ne plus faire assumer financièrement les arrêts maladies et temps partiels thérapeutiques au régime général de la Sécurité Sociale mais à la branche « Accident du travail » et « maladies professionnelles » qui, rappelons-le, est financée à 97% par les cotisations patronales.

Le burn-out ou syndrome d’épuisement professionnel se caractérise selon l’Organisation mondiale de la santé par « un sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d’incapacité à aboutir à des résultats concrets au travail ». Sur le plan clinique, le syndrome de burn-out relève à la fois de la dépression (ralentissement psychomoteur, somatisation, douleur morale, cognitions dépressives) et d’un trouble de l’adaptation dont les conduites addictives peuvent être un symptôme à part entière. L’addiction quant à elle englobe à la fois les addictions à une substance licite (tabac, alcool, médicament) ou illicite (cocaïne, cannabis, opiacés, etc.) et les addictions comportementales (jeux, workaholisme, etc.) dont l’étiopathogénie est neuro-bio-psycho-sociale.

Bienfaits et méfaits du travail
Dans notre société, le travail est bien souvent considéré comme une norme et valorisé en tant que tel, ce qui est pour le moins équivoque. La norme définit à la fois un fait et un jugement d’appréciation. Le travail fait partie intégrante de notre identité et équilibre personnel ; rares sont les individus aujourd’hui qui n’annoncent pas de manière concomitante à leur identité civile le poste ou l’activité professionnelle qu’ils occupent. Nous entretenons cependant bien souvent un rapport contradictoire à notre travail en y étant fortement attaché et en le critiquant tout à la fois. Le rapport au travail et à la norme est à mettre en corrélation avec la culture du pays. Il n’est pas étonnant ainsi de noter que c’est au Japon et aux États-Unis, pays où la durée de travail est la plus longue, que le burn-out a été abordé en premier. Le stress, généré par le travail et pouvant amener certaines personnes à un état d’épuisement professionnel, amène à considérer avec attention le poids des conduites addictives comme stratégie de compensation inadaptée en entreprise. Ainsi, par exemple, avant la dépendance, l’alcool est souvent consommé par des personnes en situation de surmenage pour son effet euphorisant et à l’inverse pour son effet « somnifère » par des personnes travaillant en horaires décalés.

Une étude du mois de janvier dernier publiée dans la revue médicale The Bristish Medical Journal portant sur 40 000 personnes dans quatorze pays différents montre qu’au-delà de 48 heures de travail hebdomadaire le risque d’avoir une consommation d’alcool à risque est augmenté de 12%. Précisons qu’en France dans la population active, les consommateurs d’alcool à risque représentent 16% et que 8% des salariés sont alcoolodépendants. Ils mettent à mal le collectif, le management et parfois même l’image de l’entreprise. La difficulté essentielle pour les addictologues est alors d’arriver à différencier dans ces situations les causes des conséquences. La conduite addictive, l’alcoolodépendance par exemple, est-elle la résultante d’un état d’épuisement professionnel ? Ou à l’inverse, l’épuisement professionnel et les divers dysfonctionnements au poste de travail ne sont-ils pas corrélés à cette stratégie individuelle de compensation ?

L’épuisement professionnel peut alors être envisagé comme une comorbidité (trouble s’associant à une pathologie initiale) à la conduite addictive. Une nouvelle maladie professionnelle ? L’épuisement professionnel peut, dans certaines situations, être également une forme d’addiction ; c’est le workaholisme. Il s’agit d’une relation pathologique qu’un individu entretient avec son activité professionnelle et qui se caractérise par une compulsion à y consacrer toujours davantage de temps et d’énergie au détriment d’autres activités et de sa santé physique et psychique. Le néologisme de workaholisme renvoie bien à une forme d’addiction que l’on peut également rapprocher du présentéisme pathologique ; cette dimension est à l’interface directe entre les risques psychosociaux et les addictions « classiques ». En un sens le burn-out est à l’épuisement professionnel ce que l’overdose est à l’héroïne ; un seuil critique tant pour le salarié que pour l’entreprise. Ainsi la complexité et la prévalence des conduites addictives en milieu professionnel nécessitent d’étudier la corrélation éventuelle entre la durée du temps de travail comme indicateur de pénibilité et la conduite addictive en tant que telle. Quel effet est recherché au produit ou comportement par le salarié en rapport à son activité professionnelle ?

Les habitudes culturelles d’intégration au collectif de travail sont également un facteur éclairant. La pratique de « pots » est très ancrée en France ; un sondage réalisé en 2014 par l’Institut de recherches scientifiques sur les boissons (IREB) a montré que seulement 20% des salariés ne participent à aucun pot au cours de l’année… Or, si un accident se produit pendant ou après un pot, la responsabilité des organisateurs et de l’employeur est engagée. Le chef d’entreprise peut ainsi être condamné au civil pour « faute inexcusable » et au pénal pour « mise en danger d’autrui ou non-assistance à personne en danger ». L’employeur doit donc mettre en place un certain nombre de mesures préventives.

Quid du workaholisme ? Le rôle des décideurs Comme pour les autres risques inhérents à l’activité professionnelle, l’entreprise doit inclure le risque addictif dans son document unique d’évaluation des risques (DUER) et prévoir différents articles dans le règlement intérieur pour encadrer la consommation de boissons alcoolisées, les sanctions éventuelles et les modalités de vérification d’un état d’ébriété. Ce dispositif peut être complété par le choix d’un référent « addiction » au sein de l’entreprise en dehors de la médecine du travail, par une démarche d’encadrement spécifique des pots ou encore par une procédure d’orientation et d’accompagnement d’un salarié ayant une problématique de dépendance (avec ou sans substance). La mise en œuvre par la suite d’une politique de prévention/sensibilisation des conduites addictives adaptée à la culture de l’entreprise est nécessaire telle qu’elle a été préconisée par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et toxicomanies (2012) pour faire de la ressource humaine un levier de performance économique durable. Un tel projet peut voir le jour au côté d’actions plus globales et moins ciblées autour de l’amélioration de la qualité de vie au travail.

LES POINTS CLÉS
62% des entreprises de plus cinquante salariés rencontrent au moins une fois par an des problématiques liées aux conduites addictives. Burn-out : 12,6% de la population active à risque, soit plus de 3 millions de personnes. Au-delà de 48 heures de travail par semaine, le risque d’avoir une consommation d’alcool problématique est augmenté de 12% (soit plus de quatorze verres pour une femme et vingt et un pour un homme). Dans le cadre de la prévention des risques professionnels, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires de sensibilisation/information pour prévenir le risque addictif.

Alexis Peschard, Addictologue et directeur associé du cabinet GAE Conseil

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