Naoual Salomé, psychologue clinicienne, le 27 mars 2020.

Le contexte sanitaire actuel est inédit en France. Même si d’autres Coronavirus ont pu apparaitre les années précédentes dans le monde (notamment l’épidémie de SRAS en 2002/2003 & l’épidémie de MERS en 2012), le Covid-19 marquera à jamais les esprits en raison de sa propagation fulgurante, sa dangerosité, et des mesures de confinement inédites qui en découlent.

Les autorités sanitaires nous informent depuis plusieurs jours sur les recommandations et conduites à tenir, afin de limiter la propagation du virus. Toutefois la littérature scientifique commence à peine à transmettre des mises en garde concernant les effets délétères du confinement et de cet état de crise sanitaire, sur la santé mentale.

Il est urgent de communiquer sur ces effets afin de préparer aux mieux les professionnels de santé en première ligne dans cette catastrophe, les populations, afin de répondre aux inquiétudes, rassurer et contenir les mouvements anxiogènes.

FRUSTRATION DES BESOINS FONDAMENTAUX

La situation de confinement risque d’accroître des attitudes et comportements d’inquiétude, d’inconfort psychique, de questionnements, d’angoisse, de détresse, et ce, à partir de la fin de la première semaine de confinement.

Il est primordial de ne pas les minimiser, de ne pas les dédramatiser.

Ces attitudes et comportements sont réactionnels et agissent comme un signal psychique. Nous devons exprimer ce mal-être, le comprendre afin de lui donner du sens.

Nous allons voir apparaitre une recrudescence de stress, d’anxiété voire d’effondrements psychiques résultant de :

  • la solitude
  • l’isolement et sa durée,
  • la distance familiale, sociale, professionnelle,
  • l’altération de nos habitudes de vie (sorties, loisirs, activités extérieures, …),
  • le chômage et l’ennui,
  • la peur d’être contaminé
  • la sensation de perte de repères, de sens, de contrôle, des valeurs,
  • la réduction de liberté d’aller et venir,
  • l’augmentation de la charge de travail,

Ces mécanismes psychiques sont sous-tendus par nos peurs/craintes, qui ne sont plus maitrisées par la satisfaction de nos besoins essentiels (besoins de contacts et d’échanges sociaux, besoins de sécurité et d’orientation, besoin d’autonomie, besoins de nouveauté et de liberté, besoins d’avoir des projets, etc.).

Dans un premier temps…

Des attitudes et comportement liés au contexte sanitaire et au confinement pourraient se manifester : questionnements, inquiétude, perte d’appétit, grignotage, insomnie, impulsivité, colère, nervosité, perte de patience, perte de plaisir, déséquilibre entre vie pro et perso, hypocondrie, augmentation de la consommation d’alcool, de tabac, de médicaments, conflits, violences, etc.

Dans un second temps…

Des troubles psychiques, des attitudes atypiques (voire régressives chez les enfants), une baisse du moral voire un syndrome anxio-dépressif, une baisse de l’attention et de la concentration, une augmentation de conduites obsessionnelles, de phobies (type d’impulsion), de crises d’angoisse, de douleurs somatiques diffuses (maux de tête, mal de dos, douleurs gastro-intestinales, etc.), de la fatigue, risquent d’apparaitre à partir de la seconde semaine de confinement.

Paroles de confinés à J+10 :

(Une trentaine de personnes, ont transmis durant 10 jours, leurs impressions, ressentis, comportements, et observations sur leur entourage, concernant leur confinement).

« Le confinement me permet de faire des trucs à la maison qui trainent depuis longtemps ».
« Je prends conscience de certaines choses, de valeurs, de priorités de la vie que j’avais oubliées ».
« Mon moral commence à baisser au 4ème jour de confinement ».
« Pour le moment, moi qui suis en télétravail et casanier, je trouve que le confinement permet d’avoir plus de temps en famille sans avoir à courir partout ».
« Depuis le confinement, je ne pense qu’à manger ».
« Je m’ennuie, et je n’ai même plus l’envie de réaliser mes passe-temps habituels ».
« La charge de travail donnée par les instituteurs, ne semble pas forcement prendre en compte le fait que les parents télétravaillent, qu’il y ait des fratries pas forcément autonomes, qu’il y ait des parents seuls ».
« Actuellement en déplacement, je ressens le besoin d’être chez moi, dans mon cocon ».
« Ce confinement aura au moins le mérite de faire du bien à la planète, la nature reprend un peu ses droits ».
« Mes habitudes de vie et mes activités extérieures me manquent ».
« J’ai l’impression d’être bloquée, ce qui me frustre ».
« Ma femme et moi, nous nous disputons plus souvent ».
« Je me sens coupable de pas pouvoir aider mes parents ».
« Je me sens complètement inutile, ce qui provoque beaucoup de frustration en moi ».
« Je me sens inquiet sur le plan économique et financier, est-ce que ça va toucher à mon épargne ».
« Ma fille est très inquiète quand elle me voit partir à l’hôpital, elle me dit avoir peur de me perdre, que je meure ».
« Je suis maman de 2 enfants et je suis fatiguée par la multiplicité de casquettes : le télétravail, les devoirs, les activités pour les enfants, la maison. Mon cerveau lâche, je ne peux pas être partout ».
« Je ressens beaucoup de sentiments contradictoires. Étant enceinte, je suis inquiète pour mon bébé, j’ai peur qu’il ressente ce stress et cette détresse, cette impuissance ».
« Je ressens de la culpabilité d’être si bien confinée contrairement à d’autres ».
« Je culpabilise parce qu’avec le télétravail, je laisse mes enfants de 6 et 5 ans devant la télé alors que les parents qui ne bossent pas éveillent leurs enfants ».
« J’ai l’impression d’étouffer chez moi, de respirer du vieil air, alors que les fenêtres sont ouvertes ».
« J’ai peur pour ma femme testée positive au Covid-19, je suis surement infecté moi aussi.  Je suis croyant, j’ai peur de la mort, d’aller en enfer ».
« Depuis le confinement, ma phobie du vide revient, alors que je n’y suis pas exposé, j’y pense tout le temps alors que je suis en sécurité chez moi ».

RISQUE D’APPARITION D’UN ETAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE (ESPT)

La situation actuelle anxiogène, peut développer chez certains individus un état de stress post-traumatique. Cet état est en fonction du temps de confinement.

L’ESPT apparait lorsqu’une personne ressent une atteinte de son intégrité physique et psychologique, et celle de ses proches. Cette atteinte est vécue comme un danger, une menace de mort.

Il est à noter que l’ESPT peut également apparaitre lors d’une exposition répétée et fréquente au stress.

De plus, les personnes ayant eu des traumatismes auparavant (accident, viol, maltraitance, attentat, agression, etc.) risquent d’être réactivées dans leur trauma.

On peut repérer 3 types d’attitudes :

à L’intrusion d’idées liées à l’évènement traumatisant (angoisse importante avec idées en boucle, verbalisation autour des mêmes thématiques, cauchemars, etc.) avec une difficulté importante à gérer ces pensées.

à L’évitement des situations, personnes, lieux, etc., potentiellement inquiétants (isolement social, prostration, mutisme, baisse de l’émotion, difficultés d’expression, etc.) pouvant aller jusqu’à un état dissociatif d’origine traumatique (phases alternant entre troubles de la mémoire voire amnésie et reviviscences du traumatisme ouvrant vers une grande détresse).

à L’hypervigilance qui entraine un état physique et psychique d’alerte, de peur, de stress (difficultés de concentration et d’attention, sursauts, insomnie ou réduction du temps de sommeil, nervosité, irritabilité, agressivité voire violence, etc.).

Une prise en charge psychologique est nécessaire et urgente afin de traiter cet ESPT.

CONSEILS AUX PROFESSIONNELS DE SANTE

  • Éviter de donner des conseils type : « Ne vous inquiétez pas ça va aller», car le risque serait de ne pas entendre la détresse, de culpabiliser votre interlocuteur, et d’augmenter l’anxiété.
  • Rester dans une écoute active, humaine, et valider les ressentis : « Vous êtes anxieux et c’est normal», « Vous avez peur et je comprends tout à fait ».
  • Être dans le partage d’émotions : « J’ai également des mouvements anxieux et des inquiétudes », « j’ai également peur pour mes proches et pour moi», etc.
  • Garder à l’esprit que l’anxiété et l’angoisse sont des réponses humaines normales face à un danger. Le but n’est pas de retirer à tout prix l’angoisse. Une des aides lors d’un état anxieux aigu est la logo-thérapie, c’est-à-dire la verbalisation de cette angoisse. Puis réorienter la personne vers un psychologue, psychiatre. En moyenne le pic anxieux dure entre 25 et 45 minutes.
  • Consulter un médecin pour la mise en place d’un traitement à visée anxiolytique temporaire, quand les crises d’angoisse sont intenses et fréquentes, en respectant les posologies.
  • Ne pas se sentir responsable des états de détresse, afin d’éviter une course à la recherche de ‘réponses-solutions’. Cette façon d’écouter risquerait de culpabiliser votre interlocuteur voire de l’infantiliser. Et, risque de vous épuiser voire de vous agacer.
  • Rester convaincu que l’interlocuteur à des ressources psychiques, comportementales, émotionnelles, sociales. Aider à la recherche de ces ressources (‘facteurs de protections’) : ex : « qu’est ce qui pourrait vous aider, vous apaiser, vous rassurer, là tout de suite ?». Ce qui donnera à l’interlocuteur la possibilité d’être en posture réflexive, de trouver pour lui-même et par lui-même des solutions. Cette technique permet de garder le contrôle de soi.
  • Avoir recours à une ressource-soutien afin de verbaliser et déverser tout ce que vous avez contenu, entendu, enduré, vu, vécu, durant votre exercice professionnel.
  • Soutenir ses collègues et être soutenu par eux.
  • Prendre des pauses en essayant de se couper totalement du monde extérieur, c’est-à-dire fermer ses yeux et ses oreilles à tous stimuli anxiogènes durant au moins 15 à 20 minutes (Par ex : écouter de la musique avec un casque, s’isoler dans une pièce, effectuer un exercice de respiration dans un endroit le plus calme possible, etc.).
  • Lors de crise d’angoisse avec agitation, il est fréquent de se retrouver face à des personnes agressives. Ne pas hésiter à les contenir voire les recadrer en expliquant que vous comprenez leur détresse, que vous comprenez leur colère, mais que l’agressivité ne doit pas être dirigée vers vous (on a le droit d’être en colère mais pas d’être violent envers l’aidant).
  • Lors d’une crise d’angoisse avec idées en boucle, il est d’usage de ramener la personne vers la réalité, c’est-à-dire des choses concrètes (son environnement direct, son entourage).
  • Garder à l’esprit que vous allez être confronté à un stress potentiellement permanent durant votre activité, le but est de réguler ce stress à un niveau supportable. Trouver vos ressources, pour le réguler (appeler un psy, appeler un membre de sa famille, faire une activité physique, de relaxation, se reposer, etc.).
  • Rester humble, respecter aussi vos propres limites.

CONSEILS AUX POPULATIONS

  • Pratiquer des exercices de respiration (cohérence cardiaque, respiration abdominale, respiration thoracique, etc.), ce qui entraine une détente neuromusculaire, l’oxygénation du cerveau, et in fine la baisse du stress.
  • Manger sans privation mais correctement (afin d’éviter les carences et la baisse des défenses immunitaires). Le fait de manger donne l’information au cerveau que « ça va» et abaisse le stress.
  • Pratiquer une activité physique afin de se défouler et stimuler les endorphines (hormones naturelles du bien-être),
  • Garder des liens sociaux avec votre famille, vos amis, vos collègues, via des appels téléphoniques, des sms, les réseaux sociaux, etc. Prendre des nouvelles des autres et en donner, permet de rompre l’isolement, de verbaliser son état, de prendre soin des autres.
  • Mettre en place des communications téléphoniques ou visio entre vos enfants et leurs copains, copines, camarades de classe.
  • Respecter les pauses dans la journée de télétravail & le temps de travail.
  • Garder un rythme, des rituels, programmer des activités de loisirs en famille ou entre amis.
  • Prendre son traitement en respectant les posologies.
  • S’informer auprès de médecins, des psychologues sur les conduites à tenir, les risques liés au confinement. Verbaliser son inquiétude.
  • Réduire l’exposition aux médias. Se limiter à 2 prises d’informations par jour, par exemple 20 minutes à midi, 20 minutes le soir. L’exposition continue aux médias peut entrainer une surcharge émotionnelle, découlant vers un état de fatigue intense, une irritabilité voire une crise d’angoisse.
  • S’autoriser des temps de partage, de célébration, de rire.

Pour finir, il est important de se rappeler que nous ne sommes peut-être pas les plus à plaindre, mais nous avons aussi le droit de nous plaindre…