Tous les domaines d’activité sont concernés par le harcèlement sexuel au travail. Que faire lorsqu’on est victime, lorsqu’on est témoin ou lorsqu’on est employeur ?

L’affaire Denis Baupin replace depuis lundi la délicate question du harcèlement sexuel dans le monde politique. Ces abus, dénoncés par plusieurs femmes, ne sont pas l’apanage du seul cercle des institutions. Selon un sondage Ifop, en France, une femme sur cinq serait même concernée par le harcèlement sexuel au cours de sa carrière, tous domaines confondus.

Le harcèlement sexuel concerne particulièrement les femmes occupant des postes à responsabilité importante, dans de petites entreprises et dans des environnements masculins.

Une femme active sur cinq est concernée
Plus généralement, plus de 8% des agressions sexuelles et 25% des gestes déplacés ont lieu au travail ou pendant les études. Pourtant, seuls 5% des cas de harcèlement sont portés devant la justice. Comment reconnaître une situation de harcèlement ? Comment s’en sortir ? Quelles sanctions sont prévues ? Le point avec Noémie Le Menn, psychologue du travail, consultante en “outclassement” (reclassement externe) et coach sur le féminin en entreprise.

Qu’est-ce que le harcèlement sexuel ?

Depuis août 2012, la loi française définit précisément ce qu’est le harcèlement sexuel. Il s’agit du fait “d’imposer à une personne de façon répétée des propos ou comportements à connotation sexuelle, qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant et/ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante”. Est également considéré comme du harcèlement le fait de faire pression sur quelqu’un “dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle pour soi ou pour un tiers“. Cette nouvelle version de la loi englobe donc toutes les formes possibles de harcèlement direct et indirect.

Qui peut en être victime ?

En principe, tout le monde, même si la grande majorité des victimes recensées sont des femmes. Selon le sondage Ifop (cité plus haut), le plus souvent, il s’agit de femmes occupant des postes avec des responsabilités importantes, évoluant dans de petites entreprises et/ou dans un environnement majoritairement masculin. Cependant, selon Noémie Le Menn, il n’y a pas un seul “profil type” de victime, elles sont aussi nombreuses que les formes de harcèlement sont diverses.

Que faire en cas de harcèlement ?

Si vous êtes victime de harcèlement, la première étape est d’en parler autour de vous : à des collègues de confiance, à votre employeur, au responsable des ressources humaines, à un délégué syndical, à un médecin du travail ou un inspecteur du travail… Deuxièmement, il est important de consigner par écrit votre témoignage, afin d’attester que vous avez bien alerté quelqu’un. Cela peut être un courrier manuscrit, un mail ou un sms. Enfin, pensez à conserver toutes les preuves du harcèlement dont vous êtes victime (cela peut être des mails, sms, lettres, mais aussi des certificats médicaux, arrêts de travail ou témoignages de votre entourage…) Elles vous seront utiles si l’affaire est portée devant la justice ou dans une commission disciplinaire.

span style=”color: #1faaf3;”>Que risque le harceleur ?

Le harcèlement sexuel est un délit passible de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, voire trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes (si la victime est mineure ou en situation de faiblesse). A cela s’ajoutent les sanctions disciplinaires au sein de l’entreprise du harceleur (qui peuvent aller jusqu’au licenciement) ainsi que d’éventuels dommages et intérêts à verser à la victime.

Quelles conséquences pour la victime ?

“Les gens harcelés perdent vite toute estime d’eux-mêmes, explique Noémie Le Menn, qui a accompagné plusieurs personnes en situation de souffrance au travail. “Généralement, la victime a honte et se sent coupable. Elle se demande ce qu’elle a bien pu faire pour en arriver là. Les symptômes les plus courants du harcèlement sont le sentiment d’insécurité permanent, le stress, la honte, et l’anticipation anxieuse. On se demande sans cesse ‘est-ce que ça va se reproduire ? est-ce que c’est moi qui déclenche ça ?'” Avec bien souvent, au bout du compte, une baisse de performance au travail.
“Il est très difficile pour une personne harcelée de se concentrer sur ses tâches lorsqu’elle est dans cet état-là, d’autant plus que la situation de stress a lieu sur son lieu de travail.” Cependant, la psychologue croit à la reconstruction et à la reprise de confiance en soi : “Les gens sont extrêmement résilients, ils peuvent se reconstruire s’ils se reconnectent avec des gens positifs. Parfois, il suffit de quelques personnes, d’une conversation avec quelqu’un de bienveillant, de rassurant, pour que la victime comprenne qu’elle n’est coupable de rien et qu’elle va pouvoir tourner la page.”

Que peut faire l’employeur ?

“En cas de fait avéré de harcèlement dans une entreprise, la honte est partout. Dans l’esprit de la victime, d’abord, car elle a souvent peur d’en parler autour d’elle, mais aussi au sein des dirigeants, qui se sentent parfois coupables qu’une telle chose se soit passée chez eux”, analyse Noémie Le Menn. Dans le cadre de son métier, cette spécialiste a parfois rencontré des responsables de ressources humaines démunis face à des comportements qui frôlaient les limites sans jamais les dépasser. En plus de prévoir des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement pour les harceleurs, la loi de 2012 oblige les entreprises à afficher dans leurs locaux le texte précisant que le harcèlement sexuel sous toutes ses formes représente un délit passible de poursuites judiciaires. Mais en amont, il est important d’informer “et surtout de former”, précise la psychologue. “Il y a un vrai problème d’ignorance et de conservatisme de la part des hommes en entreprise. Beaucoup restent ancrés dans des codes d’un autre temps, selon lesquels il serait de bon ton de faire des compliments aux femmes et d’être dans la séduction permanente, comme si c’était une forme d’hommage. La plupart ne se rendent pas compte que leur comportement est déplacé, ils pensent faire une remarque sincère. Il faut leur expliquer que ça ne se fait pas.” D’où la nécessité d’expliquer les choses fermement dès le départ : “Dans la mesure du possible, il faut recadrer la moindre remarque que l’on juge déplacée. Je serais assez pour le “zéro tolérance”, histoire de dire les choses clairement dès le départ, pour pouvoir faire rapidement la différence entre ceux qui agissaient simplement par ignorance, et les autres, avec des comportements plus problématiques”. Mais la psychologue est confiante : “Il ne faut rien lâcher, mais on est sur la bonne voie. Il y a encore du boulot, c’est sûr, mais je vois des progrès tous les jours, il faut continuer.”

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