La révolution de l’immatériel et du numérique actuellement en marche impose aux entreprises et décideurs d’aujourd’hui de véhiculer et parfois même d’enseigner une conscience digitale à leurs salariés. Le concept d’addiction sans substance psychoactive est, aujourd’hui encore, une source de polémique tant pour les experts de l’addictologie que pour le grand public, avec des débats aussi passionnants que passionnés. Mais l’addiction au virtuel et aux shoots de pixels existe-t-elle ?

La transformation numérique est aujourd’hui en marche dans nos entreprises. C’est un sujet au cœur des préoccupations de tous les DRH. Elle est caractérisée par une vitesse de diffusion et d’accélération des innovations digitales, ce qui la différencie diamétralement des précédentes révolutions technologiques. En effet, il a fallu 38 ans à la radio pour s’imposer dans les mœurs, 13 ans à la télévision, 3 ans pour l’Internet domestique, 1 an pour Facebook et seulement 9 mois pour Twitter (base de 50 millions d’utilisateurs).

La numérisation de notre société dépasse donc aujourd’hui largement la simple utilisation des outils numériques pour s’imposer comme une culture et un langage à part entière (#, @) dans lequel les jeunes générations grandissent et les plus anciennes tentent d’y trouver des repères. Si les NTIC permettent de manière générale une amélioration importante de l’efficacité professionnelle, elles peuvent être, à l’inverse, sources d’« infobésité » informationnelle contre-productive et donc génératrice de stress pour les salariés. 75 % des cadres considèrent en effet ces sollicitations comme l’une des trois principales sources de stress (Crepig, 2015). Ce stress généré par les NTIC nous amène à étudier avec attention l’articulation entre vie professionnelle et vie privée. Il nous incite également malheureusement à appréhender le poids des conduites addictives (substances psychoactives) dont usent certains salariés comme stratégie de compensation inadaptée. De plus, les NTIC peuvent être à elles seules une conduite addictive à part entière (cyberdépendance).

Travail connecté et droit à la déconnexion

La dixième édition du baromètre Edenred-Ipsos (13 600 salariés dans quatorze pays) sur le bien-être et la motivation des salariés a mis l’accent cette année sur la transformation numérique. Ainsi 80 % des salariés européens ont répondu avoir une vision positive du numérique. Cette transformation adoptée par les entreprises aujourd’hui doit susciter et participer à une réflexion plus globale sur l’amélioration de la qualité de vie au travail en évaluant les potentiels impacts sociaux entraînés par les technologies digitales. Le numérique dans son ensemble doit rester une opportunité pour penser autrement les différentes organisations du travail et les modes de management jusqu’à réinterroger, parfois, la notion même de bureau physique. Les habitudes culturelles d’intégration au collectif de travail sont un facteur éclairant l’évaluation des usages  numériques.  Comme  la consommation contrôlée d’alcool qui est socialement encouragée, l’utilisation des réseaux sociaux devient aujourd’hui incontournable avec une vertu intégrative tant du côté individuel que de l’entreprise et de la marque employeur. Comment en faire alors bon usage sans tomber dans l’excès de la nomophobie (peur excessive d’être séparé de son smartphone) ou dans la réassurance d’un shoot de pixels ?

 

 

Facebook et Apple ont proposé en 2014 à leurs salariées aux États-Unis de financer la congélation de leurs ovocytes pour leur permettre d’envisager une maternité une fois leur carrière professionnelle faite. La  frontière  entre vie privée et vie professionnelle peut donc être complexe et le droit à la déconnexion reste avant tout une compétence personnelle laissée la plupart du temps à l’autocritique et évaluation de ses propres limites. Il doit cependant être soutenu au niveau professionnel et appréhendé  comme une coresponsabilité entre l’entreprise, le salarié et ses collègues de travail pour que cela puisse faire partie intégrante d’une politique de qualité de vie au travail pérenne dans le temps et au service de la compétitivité. Des actions de sensibilisation à l’usage des outils numériques promouvant une régulation tant individuelle que collective peuvent être menées. En addictologie, nous parlons régulièrement de la notion de mésusage que l’on peut avoir d’un produit : il en est de même avec Internet et les NTIC.

LES POINTS CLÉS

  • 147 minutes est le temps moyen passé chaque jour devant son smartphone (Millward Brown, 2014).
  • 55 % des actifs disposent d’un micro-ordinateur sur leur lieu de travail. Le chiffre monte à 90 % pour les cadres (Credoc, décembre 2013).
  • 23 % des cadres ne se déconnectent jamais et 22 % rarement (Sondage Apec, décembre 2014).
  • 72 % des cadres travaillent dans des entreprises qui n’ont pris aucune mesure de régulation numérique.

Ils ont le sentiment de ne bénéficier d’aucun droit à la déconnexion (Francis Jauréguiberry, Rapport Devotic, 2013).

Cyberdépendances et workaholisme

Les réseaux sociaux et leurs notifications, les alertes push, les mails, les outils de tracking (bannières, cookies…), la simplification du quotidien par les applications spécialisées sans oublier les appels téléphoniques sont autant de stimuli que nous recevons quotidiennement sur nos smartphones, tablettes, ordinateurs et tous objets connectés. Ces technologies digitales qui sont maintenant partie prenante de nos vies personnelles et professionnelles augmentent-elles notre qualité de vie au travail ? Les NTIC sont-elles aliénantes ou libératrices ?

Internet est aujourd’hui un vecteur très fort de différentes addictions : achats compulsifs, jeux d’argent et de hasard, jeux vidéo, réseaux sociaux, recherche compulsive d’informations, recherche de substances psychoactives ou de médicaments… Si l’alcool et les drogues ont été pendant très longtemps les paradigmes des addictions, principalement à cause de l’existence d’un syndrome de sevrage venant démontrer la dépendance  biologique, les addictions sans substances ne sont plus considérées aujourd’hui comme une simple difficulté passagère mais comme des addictions à part entière nécessitant, de ce fait, des accompagnements spécialisés et des actions de prévention ciblées pour lesquelles le milieu professionnel est un terrain très propice.

Sur le plan clinique, nous pouvons repérer parfois le glissement d’une cyberaddiction à un statut de « workaddict » chez certains salariés. Le workaholisme est une relation pathologique qu’un individu entretient avec son activité professionnelle et qui se caractérise par une compulsion à y consacrer toujours davantage de temps et d’énergie au détriment d’autres activités et de sa santé physique ou psychique. Les NTIC peuvent venir également souvent accentuer ces tableaux cliniques par l’effacement des frontières entre vie privée et vie professionnelle. Une étude récente rapportait que 60 % des cadres consultent leur messagerie Internet au lit le soir ou le matin au réveil (Crepig, 2015). Les NTIC sont alors au bingewatching ce que l’alcool est au bingedrinking dans les effets recherchés par l’usager : une fuite de la réalité.

Le rôle des décideurs

Les directions des ressources humaines doivent donc promouvoir une gestion intelligente des NTIC et intégrer une politique de prévention des conduites addictives (avec ou sans substances) dans le cadre d’une démarche globale d’amélioration de la qualité de vie au travail au service du dialogue social. La régularisation des flux d’informations, l’éducation numérique et la sensibilisation aux conduites addictives sont autant de priorités que les décideurs doivent inscrire à leur agenda 2016 en adoptant la digitale attitude !

« LES NTIC SONT AU BINGEWATCHING CE QUE L’ALCOOL EST AU BINGEDRINKING »

Différenciation : le cabinet ne suit que des grands groupes dans la prévention des conduites addictives en milieu professionnel. Lagardère Active, Onet ou encore BNP Paribas securities services font partie de leur portefeuille et illustrent la dimension des missions que l’équipe déploie. La méthode d’accompagnement fait sa réputation. Après une fine analyse de prévention et de détection des risques, les consultants procèdent à la mise en conformité du document unique, du règlement intérieur et conseillent les DRH sur la stratégie à adopter. Conduite à tenir, gestion de l’urgence et du retour au travail après un arrêt pour soins, documents types : la boîte à outils est complète. Les équipes prennent aussi en charge le salarié en période de soins. Référence sur ce segment, le cabinet est le seul organisme à disposer de l’agrément IPRP (Intervenant en Prévention des Risques Professionnels) pour l’addictologie.

Alexis Peschard, Addictologue et directeur associé du cabinet GAE Conseil.