drogue et télétravail
addiction aux jeux vidéos

ADDICTIONS ET TELETRAVAIL

Ces derniers mois, la pandémie de Covid-19 a profondément bouleversé notre quotidien, nos activités professionnelles, nos relations sociales et nos habitudes de consommation. Les mesures sanitaires mises en place dans différents pays et particulièrement le confinement, ont constitué des événements marquants dans nos vies. Rapidement, des questions ont pu émerger dans les médias sur l’impact potentiel que la pandémie pouvait avoir sur la consommation de substances psychoactives en France. Des hypothèses sérieuses avancent que l’anxiété et le stress face au Covid-19 pourraient entraîner une augmentation des consommations de drogues et d’alcool. Pour les experts en addictologie, la détérioration du rythme quotidien habituel et l’isolement sont autant de facteurs qui favorisent les pratiques addictives. Au-delà des « apéros zoom » qui se sont multipliés pour créer de nouvelles formes de sociabilité, les inquiétudes se portent aussi bien sur les usages excessifs des substances psychoactives que sur l’addiction aux jeux en ligne et aux écrans, voire, sur l’addiction au travail !

 

Vulnérabilités et conduites addictives

Selon l’Institut Inserm, une addiction peut faire suite à une simple curiosité, à une recherche de plaisir instantané ou à un besoin de faire diminuer rapidement malaises, angoisses ou tensions internes ressenties. La rencontre entre un individu et un produit/comportement, à un instant particulier de la vie, peut entraîner l’individu dans cet engrenage. Une étude menée avec la collaboration de médecins du travail pour l’INRS montre que les raisons d’un basculement vers la dépendance ne sont pas aisées à déterminer, pourtant un certain nombre de vulnérabilités biologiques, psychiques et sociales joueraient un rôle majeur, mais les addictions dépendent en grande partie du potentiel addictif de la substance ou de la pratique.

La vulnérabilité biologique repose sur le système de récompense qui dépend de structures cérébrales. Il est déclenché par l’appareil sensoriel (manger, boire…). Les produits psychoactifs viennent court-circuiter ce système en l’activant directement.

La vulnérabilité psychique peut être de différentes natures :

  • – Elle peut être liée aux motivations : attrait de l’inconnu, recherche de plaisir, désir d’enrichir son expérience…
  • – Elle peut être rattachée à un état de souffrance psychologique. Marc Valleur médecin psychiatre, chef de l’hôpital Marmottan à Paris a observé que les personnes sujettes à l’anxiété, l’angoisse ou la dépression semblent rechercher une sécurité à travers la routine[1] de l’habitude dans leurs conduites addictives ;
  • – Elle peut aussi provenir de certains évènements de vie qui viennent abîmer des liens d’attachement ou d’appartenance, fondamentaux dans l’enfance.
  • – Elle peut avoir trait à la prise de risques. M. Valleur a en effet montré que la recherche de sensations fortes amenant à une prise de risque importante par l’individu (généralement adolescent) constitue une des dimensions de l’addiction.

La vulnérabilité sociale concerne les activités sociales et professionnelles :

  • – Des contraintes de travail peuvent conduire à des situations de stress : objectifs fixés trop élevés ou d’efficacité à tout prix, responsabilités trop fortes et difficiles à tenir, relations de travail difficiles ou conflits, exigences de vigilance continue…
  • – Les symptômes de stress que les personnes développent peuvent se traduire par des effets au niveau physique (troubles du sommeil, asthénie…), émotionnels (crise de larmes, de nerfs…), intellectuels (oublis, erreurs, problème de concentration…) et/ou comportementaux (agressivité, repli sur soi…). Ces symptômes peuvent amener des personnes à consommer des substances psychoactives ou se traduire par une addiction comportementale.
  • – Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) apparaissent comme des outils d’aide à la réalisation de certaines tâches, permettant de faire gagner du temps. Mais ce temps a priori économisé peut vite être « rattrapé » par une utilisation de ces outils inadéquate et/ou abusive. Les salariés consacrant une part croissante de leur temps de travail à la recherche et à la manipulation d’informations, peuvent, pour certains d’entre eux, devenir réellement dépendants.
  • – Certains contextes particuliers de précarité professionnelle (fermeture d’entreprise, plan de restructuration, fusion d’entreprise avec réduction de personnel à la clé, travail temporaire…) peuvent également être des facteurs favorisants.
  • – Le manque de soutien social, c’est-à-dire de soutien en provenance du contexte professionnel et/ou de l’environnement social et familial, constitue un élément pouvant favoriser une addiction. Par soutien social, on entend la reconnaissance par les pairs et par la hiérarchie, l’entraide au sein d’un collectif de travail, la solidarité dans l’entreprise, la compréhension et l’écoute dans l’environnement professionnel et privé (famille, cercle amical…).

Il faut se rappeler que, jusqu’en 2019, seulement 3 % des Français pratiquaient le télétravail régulièrement (au moins 1 fois par semaine)[2]. Avec la Covid-19, du fait de l’urgence, le recours au télétravail a été réalisé, le plus souvent, dans de mauvaises conditions et à l’heure du « re-confinement », le travail à distance redevient la règle. Pour certains, « il s’agit d’une option facilitante, pour d’autres, elle est troublante voire scabreuse », comme le révèle l’étude sur l’impact du télétravail sur les pratiques addictives des Français menée par GAE conseil, cabinet de conseil spécialisé en prévention des addictions en entreprise, et l’institut Odoxa[3], auprès de 3 002 salariés, en octobre 2020. Les résultats montrent que les trois-quarts des Français estiment que le télétravail accroît les pratiques addictives et fait nouveau, le « workaholisme » est aussi en hausse pour 61 % des télétravailleurs. « Les anxiolytiques et somnifères ont également explosé, principalement en automédication », indique Alexis Peschard, président-fondateur de GAE conseil.

« L’addiction c’est la maladie du lien »

Cette mise en œuvre précipitée et parfois hasardeuse du « travail à distance » mériterait pourtant un accompagnement spécifique et l’adoption de mesures préventives appropriées. Il s’agit d’un enjeu de santé majeur, comme nous l’explique Ariane Pommery de Villeneuve, qui s’occupe de patients alcooliques à l’hôpital Bichat à Paris, avec le télétravail, « le lien social diminue, or l’addiction c’est la maladie du lien ». Nous vivons dans une société qui exacerbe les addictions, qui pousse à la consommation et à la recherche du plaisir immédiat. A l’inverse, elle ne favorise pas assez l’établissement de liens de longue durée, l’investissement dans les actions de groupe puisqu’elle privilégie l’individuel sur le collectif.

Le télétravail peut ainsi favoriser une multitude de risques psychosociaux :

  • – Isolement social et professionnel
  • – Surmenage lié à la gestion du temps
  • – Difficulté de protéger sa vie personnelle de sa vie professionnelle
  • – Souffrance en lien avec l’isolement et la solitude au domicile
  • – Environnement de travail ou matériel inadaptés
  • – Sentiment d’iniquité vis à vis des télétravailleurs
  • – Exposition à des situations personnelles difficiles.

Prévenir les conduites addictives en télétravail ou en « travail confiné » :

L’étude Mildeca de novembre 2020 a montré qu’un environnement de travail privé peut favoriser la consommation de produits psychoactifs (tabac, alcool, drogues…) et des pratiques addictives de type comportementales (cyberdépendances aux jeux, achats compulsifs, hyper-connexion, etc.). Le sentiment d’isolement par rapport à ses collègues de travail serait un facteur de risque élevé des conduites addictives et plus globalement, d’aggravation de l’état de santé des salariés. Il appartient donc à l’employeur, le plus souvent via la ligne managériale intermédiaire, d’assurer un suivi des salariés, en mettant en place des outils pour identifier les situations à risque (personnes seules, sans pratique préalable du télétravail, passif lié à des conduites addictives, salariés en situation de surcharge ou de désengagement…).

Le manager est ainsi en première ligne, il/elle doit donc mettre en place un certain nombre d’actions afin de maintenir le lien social notamment en favorisant la mise en place d’une communauté virtuelle destinée à prévenir l’isolement et la démotivation des équipes. Il doit également encourager les collaborateurs à se déconnecter, tant les horaires de travail peuvent être bouleversés et favoriser les situations de « burn-out », mais n’oublions pas que les managers sont eux-aussi exposés aux mêmes risques que leurs collaborateurs. Que pouvons-nous vous conseiller ?

1 – Sensibiliser au risque que le télétravail représente dans les conduites addictives,

2 – Maintenir un lien visuel régulier entre le manager et le reste de l’équipe,

3 – Aider les télétravailleurs dans l’organisation de leur travail (horaires, formation…),

4 – Soutenir les managers dans leur mission d’encadrement à distance :

  • – Former les managers au suivi des salariés/agents à distance
  • – Fournir aux collaborateurs du matériel/logiciel adapté à leurs attributions
  • – Faciliter l’accès des travailleurs et des managers à l’assistance informatique

5 – Encadrer l’organisation du télétravail et la déconnexion,

6 – Encourager des rythmes de veille/sommeil, de repas, de travail/hors travail,

7 – Encourager une activité sportive, de préférence à l’extérieur, plusieurs fois par semaine,

8 – Alterner télétravail et présentiel afin de maintenir la cohésion interne et le lien social

 

Les organismes de référence

Addict Aide, le monde du travail : le portail pour prévenir et gérer les conduites addictives dans le monde du travail

ADDITRA : Association nationale addictologie et travail

ANPAA : Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie

Intervenir-addictions.fr : le portail des acteurs de la santé

Mildeca : Mission interministérielle contre les drogues et les conduites addictives

OFDT : Observatoire français des drogues et des toxicomanies

 

Structures pouvant être contactées :

Numéros verts et sites Internet d’information sur les addictions

Tabac info service : 0 825 30 93 10

www.tabac-info-service.fr

Ecoute alcool : 0 811 01 30 30

Ecoute cannabis : 0 811 01 20 20

Drogues info service : 0 800 23 13 13

Site Drogues et dépendances (MILDT)

www.drogues-dependances.fr

Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA)

www.anpaa.asso.fr

 

[1] Source : VALLEUR M – Les addictions sans drogue et les conduites ordaliques : addictions, substitutions. Inf Psychiatr. 2005 ; 81 (5) : 423- 28.

[2] Source : Etude Dares (2019)

[3] Source : Etude “Impact du télétravail sur les pratiques addictives des Français en entreprise”, réalisée par ODOXA pour GAE Conseil, a été menée en ligne. Les interviews ont été faites du 28 septembre au 6 octobre 2020 auprès d’un échantillon de 3002 Français (1587 salariés, 577 managers, 598 télétravailleurs).

Article rédigé par Albane Donal, psychologue du réseau Pros-Consulte