Expatriés : prévenir les RPS
expatriation

L’expatriation peut être vue comme une opportunité de vivre une aventure humaine et culturelle hors du commun, et comme un tremplin de carrière. Néanmoins, les travailleurs expatriés sont aussi exposés à des risques particuliers. Ils n’en n’ont pas toujours conscience, dans l’euphorie du départ.

Le chemin vers ce choix de vie audacieux (et pas si commun) est parfois semé d’embûches.
Comment l’entreprise peut-elle accompagner au mieux son personnel mobile, pour lui permettre de « bien vivre l’expatriation » ?

Les expatriés face aux risques psychosociaux

 

Premièrement, la mobilité internationale présente plusieurs défis psychologiques que l’entreprise doit appréhender. Cela répond à son obligation de prévention des risques psychosociaux et de préservation des équipes. Par ailleurs, la pandémie actuelle a eu un impact négatif conséquent sur le moral des expatriés. Ils ont vu leurs possibilités de retour dans le pays d’origine restreintes voire impossibles. Ainsi, de nombreux expatriés se sont retrouvés séparés de leurs conjoint, enfants, parents âgés pendant une durée indéterminée. Cela a provoqué une grande anxiété. Une étude a été réalisée par April International et Expat.com début juin 2020, soit deux mois après les fermetures de frontières. On y apprend que « 18 % des expatriés étaient déjà rentrés et 38 % pensaient à le faire. La première raison évoquée étant le besoin de retrouver leurs proches, et cette motivation est d’autant plus pressante que la crise s’est prolongée ».

L’impact de l’expatriation sur la vie professionnelle et personnelle

L’expatriation entraîne des changements majeurs dans les sphères de la vie privée et professionnelle. Les formalités administratives liées au séjour, à la santé, déménagement, inscription à l’école pour les enfants en font parties. Mais aussi l’adaptation culturelle, la barrière de la langue, l’éloignement des proches et le manque de soutien social… En conséquence, certains évoquent même un « décalage émotionnel » avec ceux restés en France.

 

Le « stress de l’expatrié » débute bien en amont du départ. Il débute au moment de la prise de décision lié au projet de s’expatrier. L’impact sur soi et la famille est important ; ce n’est pas le type de décision que l’on prend tous les jours. L’enjeu est important. La phase de préparation du projet va ensuite entraîner de nombreuses préoccupations et inquiétudes. Scolarité des enfants, changements professionnels pour le conjoint…des tensions peuvent apparaître. Ainsi, chacun de ses membres doit pouvoir communiquer sur ses éventuelles difficultés lorsque l’expatriation concerne la famille.

 

D’après la Revue Médicale Suisse, le stress de base de l’expatrié est lié à l’adaptation au nouvel environnement. En effet, cela peut provoquer désorientation, confusion et anxiété.

Les quatres phases d’adaptation

 

On observe « quatre phases d’adaptation, en relation avec le changement de la perception de la nouvelle culture. Elles s’expriment par des émotions :

  1. La lune de miel (stimulation, excitation).
  2. La désillusion (la nouvelle culture est perçue comme intrusive, peu familière et problématique).
  3. L’adaptation partielle (tout devient plus facile à comprendre et prévoir).
  4. L’adaptation, lorsque l’expatrié accepte les coutumes locales et se sent à la maison. »

Il est à noter que pendant la phase de désillusion, « l’expatrié peut se sentir désillusionné, submergé, irrité, isolé, anxieux, fatigué ou déprimé ». Cette phase, appelée par Oberg « choc culturel », arriverait environ au 3ème mois d’installation. « Les différences sont plus difficilement vécues, chacun réalise ce que va être son quotidien, les manques de repères habituels apparaissent. » Ainsi, c’est ici que le salarié et sa famille doivent pouvoir avoir accès à des ressources, pour que l’expatriation ne mette pas à mal leur santé mentale. Etre à l’étranger peut rendre la démarche de soin plus difficile. Pas évident de consulter quand on est bloqué par la barrière de la langue, ou quand on ne sait pas où trouver un bon praticien ! C’est pourquoi, à ce stade, la principale mesure de soutien psychologique consiste à offrir un espace de parole.

 

L’éloignement avec l’entreprise

De même, la distance avec l’entreprise et sa direction, basées dans le pays d’origine, peut aussi provoquer sur le plan professionnel différents ressentis. La personne peut faire face à un sentiment d’isolement, de manque de reconnaissance, de manque de compréhension et de soutien par rapport à des problématiques locales. Pour l’expatrié, cela peut l’aider d’échanger avec ses pairs qui connaissent la culture locale et vivent ou ont pu vivre les mêmes difficultés. Il se sentira compris, entouré, et profitera d’un réel soutien social.
Néanmoins, il est possible que l’expatrié ne parvienne pas à s’adapter ou à résoudre des problèmes (personnels, professionnels ou liés à l’environnement). Dans ce cas, il peut être nécessaire qu’il quitte le pays de façon prématurée pour ne pas tomber malade.

 

Prévenir les risques psychosociaux liés à l’expatriation

 

Quelles mesures l’employeur peut-il mettre en place pour prévenir les risques psychosociaux liés à l’expatriation ?

Avant l’expatriation

Tout dabord, en amont de l’expatriation, l’employeur veillera à fournir des informations pertinentes sur le pays d’accueil (santé, travail, culture). Le salarié pourra ainsi au mieux anticiper. Il pourra se projeter et préparer l’arrivée dans le pays d’accueil, pour lui et les siens.

Ensuite, la mission confiée devra être claire. Afin que le salarié se sente en confiance professionnellement, les tâches afférentes doivent être précises et partagées. Cela permettra d’éviter une source de stress supplémentaire une fois sur place. Par ailleurs, il est indispensable d’évaluer les capacités d’adaptation du salarié. En effet, cela permet de vérifier l’adéquation avec le poste avant de l’envoyer à l’étranger. De même, des outils peuvent être utilisés pour préparer au mieux le salarié. On pense notamment à une sensibilisation aux risques psychosociaux liés à l’expatriation et la communication d’outils. Aussi, prendre des cours de langue avant le départ peut faciliter l’intégration sociale. Tout comme des séances avec un coach interculturel connaissant la culture du pays d’accueil.

Magdalena Zilveti Chaland est Psychologue experte de l’accompagnement des francophones expatriés. Elle constate que « partir est souvent un projet qui n’est pas mentalement pleinement préparé. Dans son ouvrage « Réussir sa vie d’expat », elle propose de « comprendre les enjeux psychologiques et défis émotionnels liés à l’expatriation et donne des pistes pour développer son Intelligence Nomade pour s’adapter et réussir sa vie à l’étranger ». Ce livre s’adresse aussi aux professionnels d’entreprise désireux de comprendre la complexité psychologique d’une vie internationale.

Pendant l’expatriation

Pendant le séjour, le manager de proximité joue un rôle important dans la détection des signaux faibles de détresse mentale. Avant tout, il maintiendra un contact fréquent et régulier. Il vérifiera que tout se passe bien, et apportera du soutien si nécessaire. C’est pourquoi, la formation des managers à ce rôle paraît donc important.

En outre, le supérieur hiérarchique pourra intervenir pour faciliter les conditions de vie. Mais aussi pour améliorer le quotidien et diminuer les sources de stress. Ainsi, il agira sur l’accès au logement, le moyen de transport…
L’employeur est aussi présent en cas de troubles majeurs de santé mentale. Dans ce cas, il s’occupe de la prise en charge de son collaborateur sur place avant un éventuel rapatriement

De retour d’expatriation

 

Puis, de retour au pays d’origine, l’employeur organise un échange. Cet échange permet de s’informer du travail mené, mais également du vécu de l’expatrié pendant son séjour.
Par ailleurs, un repos sera nécessaire avant une prochaine période d’expatriation. D’après la Revue Médicale Suisse, « un minimum de 5 à 6 semaines est nécessaire pour que la personne expatriée puisse se ressourcer et partir en forme. »

Dans le cas d’une reprise du travail dans le pays d’origine, l’employeur doit préparer et faciliter le recyclage professionnel. En effet, certains expatriés évoquent un « retour administratif » pénible et compliqué en France. Ils ont le sentiment de « ne pas rentrer dans les cases. Et de devoir « récréer leur vie administrative presque de zéro », comme l’explique Anne-Laure Fréant, créatrice du site retourenfrance.fr. Ces difficultés administratives au retour peuvent être mal vécues par les expatriés. Ils se sentent devenus étrangers dans leur propre pays.

Philippe Thorel, Docteur en Psychologie du Travail, travaille au déploiement d’un « accompagnement au long cours des expatriés”. Cet accompagnement intègre l’avant-expatriation, l’expatriation elle-même puis le retour ». En effet, on remarque deux fois plus de démissions chez les cadres qui reviennent d’expatriation que chez leurs collègues restés en France. D’après le Dr Thorel, «chez les expatriés par leur organisation, il y a une frustration par rapport au niveau de responsabilité et d’autonomie confié au retour ».

 

Bien vivre l’expatriation

Pour conclure, la population des expatriés mérite un accompagnement spécifique pour « Bien vivre l’expatriation ». Les entreprises limiteront ainsi la possible survenue de troubles mentaux chez leurs collaborateurs en mobilité internationale.
Les différentes étapes du « cycle de l’expatriation » sont à prendre en compte. Des mesures spécifiques de prévention doivent être réfléchies à chaque étape. La santé mentale des expatriés est un vrai sujet auquel s’atteler, encore plus en temps de pandémie mondiale.

 

 

Sources :
« Stress et santé mentale chez les expatriés », par Sigiriya Aebischer Perone, Hendrica Van Beerendonk, Jacqueline Avril, Gérard Bise, Louis Loutan, Revue médicale suisse n°157 du 14 mai 2008.

« Covid 19. La pandémie a un impact direct sur la santé mentale des expats » , Courrier International, par Kate Whitehead, 30 juillet 2021.

« Déprime et dépression quand on vit à l’étranger : que faire ? » par Léane Burtier, Courrier expat.

« Au secours, je rentre en France ! », par Jessica Berthereau, Les Echos, 27 avril 2018

Intelligence-nomade.com