Managers en silence : Pourquoi ils n’osent pas parler de santé mentale et comment les RH peuvent agir ?

04 December 2025

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Le jour où le manager cesse de tenir… mais continue de dire que tout va bien

Il est 9 h 17, un jeudi de septembre. Marc, manager commercial depuis douze ans, vient de quitter une salle de réunion après “une petite montée en tension”, comme il l’appelle. En réalité, il a haussé la voix, ce qu’il ne fait jamais. Il reste quelques minutes seul, surpris par son propre débordement. Puis, très vite, il range son malaise dans un coin de sa tête : « Pas le moment. Il faut que je reste solide. »

Ce réflexe n’a rien d’exceptionnel. Il résume même la mécanique psychique de milliers de managers en France : ils encaissent, régulent, absorbent, taisent… jusqu’à saturation.

Le paradoxe est connu : ceux qui soutiennent le plus sont souvent ceux qui demandent le moins. L’étude Apec 2025 “Santé mentale chez les cadres et les managers“ rappelle que ce n’est pas un événement violent qui fait basculer un manager, mais l’accumulation silencieuse. Ce qui use, ce ne sont pas les grandes crises, mais la répétition de micro-tensions, de contraintes émotionnelles et d’obligations contradictoires.

Cet article explore les racines de ce silence managérial, ses effets sur l’organisation et les leviers concrets que les RH/chargés de QVCT peuvent activer pour le briser, sans culpabiliser les managers, et en renforçant durablement leur santé mentale.

En synthèse :

  • Pourquoi les managers restent silencieux ?
    Parce que leur rôle repose sur l’image du « rocher imprenable » : tenir, rassurer, absorber. Exprimer une fragilité, c’est remettre en question cette légitimité.
  • Ce que cela révèle pour l’organisation :
    Un système de régulation managériale en sous-régime : peu de formation, peu d’espaces de parole, des injonctions paradoxales. Le manager devient seul régulateur de tout… sauf de lui-même.
  • Quels sont les risques pour l’entreprise :
    Une parole captée ailleurs ou aseptisée, des signaux faibles invisibles, un climat tendu, une charge émotionnelle non prise en compte. Et au-delà de la santé : des coûts humains, des retards stratégiques, des équipes moins performantes.
  • Quels sont les risques pour le manager :
    Le sur-engagement s’installe, le corps finit par parler à la place des mots : troubles du sommeil, irritabilité, perte de distance. Le silence devient une spirale.
  • Que peuvent faire les RH ?
    Autoriser la parole dès le cadre : “le manager aussi a le droit de dire : je n’y arrive plus”. Mettre en place des espaces sécurisés et externes, développer l’“hygiène psychologique managériale”, réguler la charge invisible, et déployer une vigilance partagée pour que le manager ne soit plus seul à porter les tensions.

Le tabou managérial : un silence ancré dans la culture professionnelle

Un rôle fondé sur l’autocontrôle : “je suis légitime parce que je tiens”

La fonction managériale s’est historiquement construite sur l’idée que tenir, maîtriser et absorber est un signe de maturité professionnelle. Le manager apprend implicitement que sa valeur repose sur sa capacité à incarner la solidité, à fournir une stabilité émotionnelle permanente et à donner confiance, même lorsqu’il traverse lui-même des turbulences.

Dans l’étude Apec, la majorité des managers reconnaît s’imposer l’obligation d’aller au-delà de leurs limites pour rester crédibles. Cette croyance identitaire qui consiste à associer la légitimité à l’endurance, produit un mécanisme particulier, le déni fonctionnel. Le manager perçoit ses signaux d’alerte, mais il décide de les contourner pour ne pas remettre en question l’image de fiabilité qu’il souhaite maintenir.

La peur de perdre la face : un frein psychique puissant

Parler de sa santé mentale ne met pas seulement en jeu le bien-être. Cela met en jeu l’identité professionnelle. Dire “je n’y arrive plus” ébranle l’image du manager capable, celui qui rassure, qui arbitre et qui tient malgré tout.

Les managers interrogés expliquent qu’ils redoutent d’être perçus comme moins fiables, moins solides ou moins capables d’assumer la charge. Ils craignent aussi l’impact sur leur carrière, la réaction de leur propre manager, ou l’impression de ne plus incarner ce qu’ils demandent à leurs équipes. Il ne s’agit pas d’un manque de courage, mais d’un conflit intérieur où s’opposent loyauté envers les collaborateurs, loyauté envers la direction et loyauté envers soi.

Les réactions hiérarchiques invalidantes : quand parler devient dangereux

De nombreux témoignages décrivent des réactions hiérarchiques abruptes : minimisation, banalisation, rappel sec à la performance ou au rôle. Lorsqu’un manager entend : « Tout le monde est fatigué » ou « Ce n’est pas le moment de flancher », il comprend qu’exprimer un malaise expose à un jugement plutôt qu’à une écoute.

La conséquence est simple : une seule réaction invalidante suffit à refermer durablement la possibilité de parler. Le manager s’enferme alors dans une stratégie de silence protecteur, mais ce silence accélère l’usure.

Les risques du silence : une spirale dangereuse pour les managers et pour l’organisation

Le sur-engagement : quand la difficulté renforce l’hyperactivité

Un manager en difficulté ne ralentit pas. Au contraire, il accélère. Il intensifie son investissement, resserre son contrôle, multiplie les efforts et se met à travailler de façon encore plus rigide.

C’est un mécanisme de coping par suractivation : plus la tension monte, plus il pousse.

Mais ce sur-engagement altère rapidement le jugement, diminue la capacité de recul, crée de l’irritabilité et favorise les tensions. À force d’intensifier le geste professionnel pour masquer l’usure, le manager s’épuise puis s’effondre.

Le corps parle avant les mots : le somatique comme premier signal

La majorité des managers n’expriment pas verbalement ce qu’ils traversent. En revanche, leur corps le dit pour eux. Les premiers signes sont quasi universels : nuits courtes ou fractionnées, douleurs cervicales, réveils fatigués, irritabilité, perte de concentration, digestion perturbée, agitation intérieure, explosion émotionnelle inopinée.

L’étude Apec souligne que plus de la moitié des managers se disent en fatigue intense et que les troubles du sommeil sont massifs. Tant que la performance visible se maintient, ces signaux passent souvent inaperçus. Mais ce sont précisément les signaux qui annoncent l’effondrement à venir.

La contagion émotionnelle : l’effet direct sur les équipes

Les émotions circulent dans les équipes, même lorsqu’elles ne sont pas énoncées. Un manager irrité, tendu ou hypercontrôlant influence, sans le vouloir, le climat émotionnel collectif. Les collaborateurs deviennent plus nerveux, plus susceptibles, plus réactifs. Les tensions se propagent comme une onde.

En d’autres termes, le silence du manager ne reste jamais individuel : il devient collectif.
bien-être au travail des managers

Les freins organisationnels qui empêchent les managers de parler

Le manque de formation : une insécurité professionnelle structurelle

Une grande partie des managers n’a pas été formée à la détection des signaux faibles, à la gestion des fragilités ou à la posture dans les situations émotionnellement chargées. Cette absence d’outillage crée un doute : “Si je peine déjà à accompagner les autres, comment pourrais-je m’autoriser à exprimer mes propres limites ?”

Le manager s’enferme alors dans la suradaptation et dans l’improvisation, deux facteurs de risque bien connus en prévention des RPS.

L’absence de régulation organisationnelle : un vide qui fragilise tout le monde

Dans de nombreuses entreprises, les espaces de régulation sont inexistants. Les arbitrages de charge se font tardivement, les difficultés émotionnelles ne trouvent pas d’espace de traitement, la supervision est rare et les retours sur pratique quasi absents.

En clinique du travail, trois régulations sont essentielles : la régulation opérationnelle, la régulation émotionnelle et la régulation identitaire. Lorsqu’elles n’existent pas, le manager devient le seul régulateur de l’écosystème… jusqu’à épuisement.

Les injonctions paradoxales : un conflit identitaire permanent

Être manager aujourd’hui, c’est évoluer dans un paradoxe permanent : être humain sans être trop affecté, être proche sans être trop familier, écouter mais rester performant, protéger mais appliquer des décisions difficiles, incarner le collectif tout en absorbant l’individuel.

Ce climat crée un stress moral profond. Parler devient alors difficile, car le manager ne sait plus ce qui relève de lui, ce qui relève de son rôle ou de l’organisation.

Ce que les RH peuvent mettre en place : la stratégie qui transforme vraiment la situation

Poser un cadre clair : “le manager n’est pas un héros”

La première action consiste à autoriser explicitement la parole. Cela passe par des messages institutionnels clairs, réaffirmant que la santé mentale fait partie des conditions de travail, que la vulnérabilité n’est pas une faute professionnelle et que demander de l’aide est un acte responsable.

Cette autorisation d’exprimer ses limites n’est pas un geste de confort. C’est une exigence de prévention, inscrite dans les obligations légales de l’employeur.

Proposer des espaces sécurisés et externalisés

Les managers ne parlent pas devant leur hiérarchie. En revanche, ils parlent dans des espaces confidentiels, neutres et protégés. Les dispositifs externalisés, ligne d’écoute psychologique, supervision managériale, co-développement, accompagnement individuel, deviennent alors des lieux où les tensions se déposent, où le recul se reconstruit et où la posture se réajuste.

Les effets d’un espace de parole externe :

  • Diminution de l’isolement,
  • Amélioration du recul et de la capacité d’analyse,
  • Prévention des mécanismes de sur adaptation.

Former les managers à l’hygiène psychologique managériale

Une formation pertinente n’a pas pour objectif d’apprendre aux managers à devenir psychologues. Elle vise plutôt à renforcer leur sécurité professionnelle : reconnaître leurs propres signaux faibles, poser un cadre clair, réguler les tensions sans s’y perdre, se protéger des personnalités difficiles et savoir où se situent leurs limites légitimes.

Mettre en place des rituels de régulation de la charge

Une organisation qui ne régule pas la charge fabrique mécaniquement du silence. Des rituels réguliers, réunions de régulation charge/objectifs, droit d’alerte managérial, ou encore arbitrages explicites, permettent aux managers de sortir de l’impression d’être seuls responsables de l’impossible.

Installer une vigilance réellement partagée

Le manager ne peut plus être l’unique pilier émotionnel de l’équipe. La vigilance doit être distribuée entre collaborateurs, managers, RH/responsables QVCT, direction et intervenants externes. Ce modèle redonne au manager sa place naturelle : celle d’un professionnel du travail, accompagné et protégé, et non celle d’un tampon émotionnel.

Conclusion : Le vrai courage managérial n’est pas de tenir, c’est de parler

Un manager qui parle ne fragilise pas son organisation. Il la sécurise.
Un manager qui signale ne manque pas de leadership. Il protège son collectif.
Un manager qui demande de l’aide n’est pas fragile. Il est lucide.

L’enjeu des RH et responsables QVCT n’est plus de pousser les managers à tenir plus longtemps, mais de leur créer un environnement où ils n’ont plus à porter seuls la charge émotionnelle.

Seuls les collectifs matures permettent à un manager de dire : « Je suis à ma limite. » Cette phrase n’est pas un aveu de faiblesse. C’est un acte professionnel responsable. C’est même l’un des marqueurs des organisations qui durent.

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